La presse divisée face au fonds Google

Après trois mois de négociations chapeautées par Marc Schwartz, les éditeurs de presse qui réclamaient une compensation de Google pour utiliser leurs contenus dans sa page « Actualités » ont obtenu gain de cause. Ou presque. Et la solution finalement dénichée ne fait pas l’unanimité.

On l’apprenait vendredi soir : les discussions entre Google et les éditeurs de presse qui souhaitaient voir leurs contenus rémunérés ont aboutit à une double solution. D’une part un fonds de financement de la modernisation de 60 millions d’euros sur 3 ans, destiné à l’ensemble des titres de presse généraliste dite IPG y compris les pure-players. D’autre part, un partenariat commercial optionnel avec la firme de Mountain View.

Accord "historique"

Lors de l’annonce conjointe de François Hollande et Eric Shmidt, en présence des ministres de la Culture et de l’Economie numérique ainsi que du médiateur Marc Shwartz et des rapporteurs de la mission Colin et Collin, l’heure était aux congratulations, puisqu’avaient été évités la voie législative et l’ultimatum de la fameuse Lex Google. Chacun y allait de son « historique », « première mondiale » et autre superlatifs laudateurs. Depuis, Nathalie Collin, directrice générale du groupe Nouvel Observateur, présidente de l’Association de la presse d’information politique et générale et fer de lance du combat pour la monétisation des contenus sur Google Actualité s’est félicitée, dans le JDD, de l’issue des négociations, estimant qu’« un bon accord est préférable pour tous ». De la même manière, Marc Schwartz, dans Les Echos, juge que « C'est un bon accord, car il constitue une manière intelligente de répartir la valeur, soit la question qui était posée à l'origine. »

Insuffisance et transparence

Pourtant, dès samedi, Louis Dreyfus, président du directoire du Monde, se montre beaucoup plus mitigé dans Le Point. S’il reconnaît que l’accord « arrive au bon moment pour les quotidiens les plus faibles et des petits magazines particulièrement fragilisés par la décomposition du système de distribution de la presse en France », il rappelle que « tout est parti d'un constat économique : il y a eu un transfert de valeur supérieur à un milliard d'euros entre la baisse des revenus publicitaires de la presse et la valeur accaparée par les moteurs de recherche. Et à l'arrivée, un accord est conclu pour 60 millions d'euros. C'est donc très probablement une première étape. C'est bien, mais la dimension "historique" et "planétaire" de l'accord m'échappe un peu... » Par ailleurs, il ne semble pas dupe des intentions de Google, qui « a certainement préféré un accord contractuel pour éviter un débat parlementaire public qui lui aurait été inévitablement préjudiciable. » Du côté du Spiil (le Syndicat de la presse indépendante en ligne), on se félicite « de la décision des pouvoirs publics de ne pas légiférer sur la création d’un ‘’droit voisin’’ ciblant les moteurs de recherche ». Mais on réclame aussi une grande transparence quant à la gestion du fonds « la composition de la commission d’attribution des aides doit être connue rapidement ; les critères d’attribution doivent être divulgués ; les projets financés, leur montant et les bénéficiaires doivent être rendus publics. »

Doutes et dépendance

Sur le site Contrepoints, on dénonce la dépendance accrue que l’accord passé risque de créer entre la presse et Google : « cela ne rendra pas la presse plus indépendante, de Google en particulier. Et notamment en matière de financement, puisque cela va favoriser Google dans son rôle de régie publicitaire internet. » Sur Les Echos, toujours, la journaliste Fabienne Schmidt rappelle que « l'accord reste éloigné de ce que voulait la presse à l'origine : un prélèvement d'année en année sur le chiffre d'affaires de Google, estimé entre 1,2 et 1,4 milliard d'euros en France, ce qui aurait garanti une source de revenu pérenne aux éditeurs. » Sur Slate aussi, Andréa Fradin se montre circonspecte rappelant que l’épneux problème de la fiscalité de Google, lui, n’est pas réglé : « si Google lâche du lest à la presse, la question de sa contribution à l'effort national persiste. Pour certains, cet accord sectoriel risque même de le compromettre à terme: il ne faudrait pas […] que la boîte américaine se sente quitte vis-à-vis de la France. Car l'impôt ne concerne pas une seule industrie. Il profite à tous. » Dans la presse étrangère, l’accord supposément « historique » n’a pas fait beaucoup de vagues, quelques mentions à peine dans le Washington Post, le Wall Street Journal et le New York Times, avec un point de vue relativement partagé : finalement, Google ne s’en sort pas si mal… Le Finacial Times britannique souligne quant à lui les efforts, plus ambitieux, faits par l’Allemagne pour que les moteurs de recherche soient obligés de demander une autorisation pour indexer du contenu, et la Stampa italienne moque « une défaite culturelle pour les Français, d'une débâcle comme à Waterloo ».

Twitter moqueur

Sur Twitter, Laure de la Raudière, qui s’était dite opposée à une taxe Google et plutôt en faveur d’une réforme globale de la fiscalité du numérique, a ironisé sur cette nouvelle loi « morte avant d’être née ».

La question de la fiscalité est aussi soulevée par le vice président de Dailymotion, Martin Rogard.

 

De son côté, le journaliste Olivier Tesquet de Télérama a tenté de calculer ce que pourraient toucher chaque média concerné par le fonds d’aide à la modernisation.

Trader et blogueur, Fabrice Pelosi aussi notait que l’effort financier consenti par Google n’était pas vraiment un sacrifice énorme.

 

Enfin Aymeric Pontier revenait sur la dépendance stratégique et financière qu’induirait très probablement cet accord.

 

La musique s'en mêle

Le secteur de la musique qui cherche, lui aussi, à intégrer les grands acteurs transnationaux dans l’écosystème de répartition de la valeur semble assez mécontent d’un accord qui ne le concerne pas. Ainsi David El-Sayegh, du SNEP (Syndicat national de l’édition phonographique), estime dans La Tribune, que « l’angle pris par les éditeurs n’est pas le bon […] cela ne résoudra pas le problème de transfert de la valeur entre Google et le monde de la culture, qui est également vrai pour la musique et la photographie. » Pour lui, «si l’on fait une négociation catégorielle, l’on ne donne que des miettes, sans répondre au problème de fond. » Pour autant, la création d’un droit voisin n’a pas eu lieu, et il y a fort à parier que biens des industries culturelles s’en réjouissent, puisqu’elle n’auront ainsi pas à partager le gâteau de la copie privée avec de nouveaux acteurs.

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