Internet, cette pierre dans notre jardin commun est aussi le lieu du savoir et de la connaissance. Donc celui de l'emprise des empires sur chacun.
Tout est fait pour qu'on ait pas le choix entre Aaron Swartz et Antonin Artaud. Les maçons tiennent leur revanche. Le savoir est emprisonné quelque part, on nous le répète, jusqu'à la nausée. Le savoir doit être libéré, car il réside sous la forme de data, en paquet, telles les briques d'un nouvel univers qu'il faut révéler au "plus grand nombre". Le Kapital est là, présent, gagnant à tous les coups, car il sait que le "trésor" a été remplacé par la "data". "Ce n'était pas un hacker, mais une constructeur (builder)", disait-on de Aaron Swartz (« He was not a hacker, he was a builder »). Comment être plus clair ? Le Kapital règne, Goldman Sachs aussi demande que soit libéré les capitaux, les briques d'une économie pour tous, où chacun peut avoir sa chance. Aaron Swartz main dans la main avec Milton Friedman, comment pourrait-il en être autrement...
Et puis, nous susurre à l'oreille un énergumène. Antonin Artaud qui ne pleure pas devant le spectacle de cette bibliothèque qui s'embrase sous le vol indifférent des papillons d'Alexandrie. Antonin Artaud, autre "grand malade" dont sa famille demandera l'internement pour des raisons psychiatriques. Antonin qui crachait sur tous et tout le monde. Antonin Artaud dit merde à Aaron Swartz.
Tout s'effondre dans la lunette d'Artaud. La grande bibliothèque peut bien s'envoler en poussière rougeoyante. Qu'avait elle de plus que mon agitation cérébrale ? Quel bocal plus précieux renfermait-elle ? Les recettes de la servilité passée... Les cadres de la pensée acceptée. Le sulfureux en fera son oeuvre. Et qu'on y trouve les exploits ordinaires d'un Lucius, qu'on y lise les écrits hallucinés d'un Plotin, les racontars sur un Héraclite, Antonin ne le sait que trop bien. Il ne veut pas le partager, après tout. Que disaient-ils sinon, oubliez nous ? Où écrivaient ils ? Dans la poussière un "et riez maintenant" !
Internet est cette nouvelle bibliothèque majestueuse. Pour certains, elle doit être remplie. Ces rayons vides sont à garnir des rapines exécutées sur d'autres lieux consacrés de la connaissance. Brique après brique... Et nous, flamands roses précieux, perchés, nous regardons sans comprendre ce qui est l'édification d'un autre palais des savoirs.
"Elle peut brûler...", le blasphème est lancé. Internet peut s'évanouir dans le tourbillon des octets. L'impérialisme est à l'oeuvre, toujours et encore. Le Kapital savoir est entre de bonnes mains. Il est bien vendu. La contorsion est exemplaire. Vous ne voulez pas "libérer" le savoir ? Quel étrange ennemi des masses et de leur émancipation êtes-vous donc ? Aucun. Il y en a qui avancent singulièrement autrement.