Vendredi dernier, Barack Obama a attaqué verbalement les autorités européennes: elles seraient selon lui coupables d'empêcher les choses de tourner bien rond pour les rejetons de la Silicon Valley installés à Paris, Berlin ou Bruxelles. La démarche, à priori surprenante et d'une mauvaise foi indéniable du président des Etats-Unis, est probablement une offrande à la Silicon Valley, en échange de l'acceptation de sa taxe sur les revenus hors-sol sinon de possibles déboires futurs de son grand projet sur la Net Neutralité. Ce ne sera pas la première fois que l'Europe est livrée aux entreprises américaines en échange de leur bonne conduite "at home".
Barack Obama n'y est pas allé avec le dos de la cuillère : "Parfois, ce qui est présenté (en Europe) comme de grands principes sur certaines questions est en fait conçu uniquement pour protéger leur intérêt commercial" et ce parce que les prestataires européens "ne sont pas capables de rivaliser avec les nôtres". Il parlait là spécifiquement, avec Kara Swisher de Re/Code, de la législation européenne sur la protection des données personnelles, et défendait un point de vue clairement calqué sur celui du lobbying européen de la Silicon Valley. Point de vue selon lequel la législation européenne, pourtant applicable aux entreprises américaines mais aussi européennes, viserait uniquement à détruire les parts de marché des sociétés américaines. Difficile de considérer cet argument comme pertinent, quand on sait notamment qu'une société comme Google a des parts de marché plus importantes en Europe (approchant les 90%) qu'aux Etats-Unis...
Toujours plus loin, toujours plus haut
La défense, même de mauvaise foi, des intérêts d'entreprises américaines par les services de la Maison Blanche - commerce extérieur ou ambassades - n'est pas chose nouvelle. L'on pourrait même soutenir, avec Matthew Fraser, que cette habitude date du Plan Marshall, et qu'elle s'est prolongée avec, entre autres, les énormes pressions faites sur les autorités européennes lors de leur enquête contre Microsoft au début des années 2000. Mais ce qu'a fait Barack Obama va plus loin encore. Il est habituel pour un ambassadeur ou un représentant de l'un ou l'autre ministère de défendre les ouailles américains à l'étranger. Mais qu'un président défende des entreprises - nommément citées comme Facebook ou Google - à l'étranger est inédit, et ce d'autant plus qu'il le fait en attaquant une région avec laquelle les Etats-Unis sont en train de négocier un accord de libre-échange.
"Nous avons possédé internet"
Obama, devant une Kara Swisher parfois médusée, est allé très loin dans l'utilisation de verbiage qui aurait convenu à un colonisateur : "nous avons possédé l'internet, nos sociétés l'ont créé, l'ont élargi, et l'ont perfectionné de manière à pouvoir y réussir", a t-il soutenu, pour justifier la position de marché souvent très avantageuse des sociétés américaines du net en Europe. Des systèmes d'optimisation fiscale ou des pressions locales pour obtenir des "petits arrangements entre amis", il ne fut point question, même si celles-ci contribuent autant à expliquer les parts de marché de ces entreprises que leur soi-disant "création de l'internet"... Mais Barack Obama, malgré l'absence de pertinence de son raisonnement, a tenu bon tout au long de l'interview, décrivant comme des victimes les rejetons parfois monstrueux de son système : "à la décharge de Google et Facebook, parfois la réaction européenne (en matière de protection des données personnelles) est plus justifiée par des raisons commerciales que par quoi que ce soit d'autre". De là à affirmer que ces sociétés font bénéficier l'Europe de leur altruisme sans faille, il n'y a qu'un pas... qu'Obama n'a pas franchi.
Carré d'As
La fait est que le président des Etats-Unis, qui effectue les deux dernières années de son mandat, est dans une situation politique délicate face à la Silicon Valley. C'est d'ailleurs précisément pour cette raison que la Maison Blanche avait organisé, la semaine dernière, un Sommet sur la Cyber-sécurité et la Protection des Consommateurs dans la "Vallée". Symbole des tensions qui règnent, Mark Zuckerberg, Marissa Mayer ou encore Eric Schmidt ne sont pas venus à l'évènement... Obama est en effet devant une situation triplement voire quadruplement difficile face à la Silicon Valley : c'est le moment où les rejetons sont devenus grands et qu'il faut les réguler, et leur faire payer (encore plus) d'impôts, et ils ne l'entendent pas du tout de cette oreille...
Sur la régulation, Obama - qui avait pourtant promis que cela n'arriverait pas - doit demander à la Silicon Valley des garanties d'obtention par les autorités de données personnelles et autres contenus échangés sur Internet et qui passent chez eux. Du moins, dit-il "quand il y a une requête appropriée fondée sur des impératifs de sécurité nationale". Dans ce genre de cas, "même s'il n'y a aucun scénario selon lequel nous ne voulons pas d'un chiffrement fort des données", "nous avons besoin de pouvoir avoir accès à ce genre d'informations". Nombre de représentants de la Silicon Valley s'y opposent totalement. Obama leur répond que "les gens qui sont pour un chiffrement hermétique sont aussi contre les attaques terroristes". Autre pomme de discorde, la protection des données personnelles, qui, comme le rappelle Kara Swisher, est très molle aux Etats-Unis par rapport à l'Europe. Obama considère que les sociétés du net devraient avoir une obligation de transparence quant à la manière dont ils utilisent les données des utilisateurs. Là aussi, il lui sera difficile d'imposer une règlementation aux enfants gâtés du web, règlementation pourtant réclamée par la population... Et ce n'est pas fini, sur la liste des soucis d'Obama avec la Silicon Valley, il y a son idée de taxe de 14% sur les revenus internationaux des sociétés américaines, qui est perçu comme théorique mais n'est évidemment pas accueilli chaleureusement. Sur la liste des pesanteurs d'Obama face à la Valley, il y a encore les soucis juridiques et politiques très probables que rencontrera le projet visant à la neutralité du net, présenté par le chef de la Federal Communications Commission sous l'égide d'Obama. Or, la neutralité du net était une promesse de campagne, que la Silicon Valley réclame depuis longtemps. L'Europe semble un gibier bien facile à fournir en échange d'une solution à toutes ces complications...