Après avoir été très ardente en affirmant dès novembre 2014 que la directive de 2001 sur le droit d'auteur devait être modifiée dans l'urgence, la Commission de Jean-Claude Juncker appuie sur le frein. La commission se concentrerait désormais sur un sujet qui ne pose a priori aucune difficulté à la culture : la portabilité des droits.
Comme nous l'annoncions hier, plutôt que de proposer une modification immédiate de la Directive de 2001 sur le droit d'auteur comme elle l'avait prévu - d'abord pour le printemps 2015 puis reporté en décembre 2015 - la Commission européenne s'orienterait finalement vers un projet de règlement sur la portabilité, a t-on appris de source interne à Bruxelles. Ce projet, dont le principe ne pose a priori aucun problème au monde de la création - serait présenté en décembre en lieu et place du projet concernant la directive droit d'auteur, qui avait été initialement annoncé par la Commission. Une proposition de modification de la directive droit d'auteur ne serait pas totalement abandonnée, mais n'arriverait en tout étant de cause pas avant juin 2016. Cette volte-face apparente est notamment la conséquence du rapport envoyé par le Parlement européen à la Commission en juillet dernier, initialement préparé par Julia Reda puis largement modifié par ses confrères avant envoi. Le Parlement - sous la houlette, en particulier, de Jean-Marie Cavada - a en effet recommandé à la Commission une grande prudence, et l'analyse précise des conditions du marché avant toute modification de la directive droit d'auteur.
Pour entamer l'analyse des conditions de marché et des conséquences de modifications de la directive souhaitée par le Parlement Européen, quelques semaines ne suffisent pas : il est donc logique que la Commission ne soit pas en mesure de présenter une proposition de modification de la directive de 2001 en décembre 2015. Le pas de charge espéré au départ par Andrus Ansip, vice-président de la Commission, ainsi que par Julia Reda et par certains représentants des industries de la high-tech est donc abandonné, pour une modification plus sereine et soupesée. Cette voie semble d'ailleurs satisfaire Gunther Oettinger, commissaire en charge de ce dossier, qui a pu agacer certains acteurs du monde de la culture au départ, mais a déjà montré par le passé ses capacités à la discussion. Il s'agira en particulier pour la Commission d'examiner à la loupe les effets pour chaque secteur - musique, cinéma, édition, photographie, architecture, etc - de la moindre modification concernant les exceptions au droit d'auteur.
Viabilité économique
Ces exceptions de la directive de 2001, aujourd'hui optionnelles et choisies par les Etats membres, sont en effet le théâtre de combats de lobbying, des entités comme Wikipédia, certaines bibliothèques ou YouTube souhaitant qu'il y en ait plus, et que celles qui existent deviennent obligatoires. Souhaits qui avaient été repris à son compte par Julia Reda dans son projet de rapport, qui voulait entre autres une extension rapide et sans réflexion de l'exception de panorama, une nouvelle exception concernant les "oeuvres transformatives", et une exception assez générale au droit d'auteur des éditeurs pour la numérisation des oeuvres en bibliothèques. Rien que ces trois exemples sont révélateurs, chacun mettant en cause des équilibres fragiles en place dans son secteur. L'exception de panorama met ainsi en cause le droit moral des architectes et sculpteurs et leur droit à être rémunérés pour l'usage commercial fait par d'autres de leurs oeuvres ; l'exception pour oeuvres transformatives met en cause le droit moral des auteurs de la musique et également leur droit à compensation. Pour l'exception de numérisation des oeuvres en bibliothèque, c'est notamment le droit des éditeurs à choisir la compensation qui leur est due, et donc à assurer la viabilité économique de leur secteur, qui est en cause.
Comme le souhaitait le monde européen de la création, soutenu notamment par les gouvernements français et allemand, il est donc désormais tout à fait probable que la modification de la directive de 2001 sera examinée en même temps que la question de la responsabilité des plateformes. La Commission a en effet accepté de gérer également ce sujet, qui porte notamment sur les retombées économiques du piratage pour des plateformes qui affirment ne pas en être responsables juridiquement. Pour preuve, les services du commissaire Gunther Oettinger, qui sont en charge de la directive droit d'auteur également, ont lancé un questionnaire sur la responsabilité des plateformes il y a quelques semaines. En la matière, certains espèrent que la Commission entamera aussi un examen approfondi, notamment des retombées économiques des contenus piratés sur YouTube, qui seraient énormes : John Simson, ancien DG de SoundExchange et très respecté à Washington, où il est désormais professeur, nous avait effet affirmé en avril dernier dans les colonnes de Haut Parleur qu'environ 25% des revenus de Google venaient directement ou indirectement de contenus piratés. Il faut aussi noter que, par un hasard du calendrier, ces deux dossiers du droit d'auteur et de la responsabilité des plateformes seront examinés par les services du commissaire Oettinger au même moment où Mme Vestager - commissaire à la concurrence - mène son enquête pour abus de position dominante par Google. Ce dossier a également des répercussions sur la culture, notamment en ce qui concerne Google Images.