Depuis ses annonces du 9 décembre, la Commission travaille "sous le radar" à la préparation de propositions législatives précises dans le cadre de sa stratégie numérique, et en particulier sur le droit d'auteur, la rémunération équitable des auteurs et interprètes, et la responsabilité des plateformes. Le résultat - et à certains égards le calendrier - de cette réflexion sont encore flous, mais les représentants de la culture à Bruxelles l'assurent : il y a encore de la place pour que l'influence politique de la France se fasse sentir sur ces dossiers, par la voix de la nouvelle ministre de la Culture, Audrey Azoulay, de Matignon ou de la représentation permanente à Bruxelles.
Les éditeurs de musique de la CSDEM, les auteurs de la Sacem, de la Sacd et de la Scam, l'ont tous dit haut et fort : ils comptent sur l'action de la nouvelle Ministre de la Culture et de la Communication, Audrey Azoulay, sur les dossiers culture au niveau européen. En revanche, les producteurs du SNEP, de l'UPFI ou encore du SPI ne parlent pas clairement d'action au niveau européen dans leurs communiqués de presse souhaitant la bienvenue à la Ministre. La Culture réclame cette action car elle sait qu'il reste encore une marge d'influence, même sur les propositions que la Commission souhaite déposer pour ce printemps, mais qu'elle déposera probablement plus tard notamment pour des raisons de procédure. Sur d'autres dossiers sur lesquels la Commission s'est donné - du moins en théorie - plus de temps, comme la copie privée, les mandataires des auteurs, éditeurs et interprètes comptent sur la ministre pour convaincre la Commission d'agir sans précipitation.
"Un printemps qui pourrait se transformer en été ou en automne"
Comme elle l'a affirmé en décembre dernier, la Commission devrait déposer, dans le cadre de la mise en place de sa "stratégie numérique", des propositions qui risquent d'impacter durablement le monde de la culture, et ce pour ce printemps. "Un printemps qui pourrait d'ailleurs bien se transformer en été ou en automne", nous dit un représentant de la culture à Bruxelles. Car avec ce projet titanesque - qui pourra in fine toucher aussi bien la directive droit d'auteur que la directive câble et satellite, ou encore la directive eCommerce - la Commission s'est mis un énorme tas de pain sur la planche. Même si l'on parle seulement de la partie droit d'auteur, avec la meilleure volonté du monde et en allant très vite, la Commission doit respecter des jalons juridiques, avec notamment l'examen des propositions par un Comité d'Examen de la Réglementation. Ce Comité remplace depuis mai dernier le "comité d'analyse d'impact", avec des fonctions élargies, dont celles d'examiner non seulement les propositions législatives, mais aussi les rapports. Or pour présenter le projet ce printemps comme elle le souhaitait, il faudrait que la Commission l'ait d'ores et déjà déposé auprès de ce Comité, ce qui n'est pas le cas. Et en plus du projet de réglementation lui-même, la procédure européenne exige que la Commission dépose une étude d'impact, afin d'aider le Comité à évaluer les conséquences macro-économiques, micro-économiques, sociales et environnementales des mesures envisagées.
40% de chances de renvoi
En outre, comme le rappelle la Commission elle-même dans sa communication de mai dernier mettant en place le Comité d'Examen de la Règlementation : "Le comité d’analyse d’impact a été institué en 2006 pour améliorer la qualité des analyses d’impact de la Commission. Il a examiné plus de 700 analyses d'impact et a fait preuve de rigueur dans l'accomplissement de sa tâche: ces dernières années, il a exigé, dans plus de 40 % des cas que l'analyse d'impact lui soit représentée". 40 % ! Les chances de renvoi des propositions aux services qui les ont concoctées ne sont donc pas négligeables, ce qui rallongerait d'autant plus la procédure, laissant aux politiques le loisir de rappeler leurs exigences à la Commission. A noter : ce renvoi par le Comité d'Examen de la Règlementation est plus que possible sur un sujet sensible comme celui du droit d'auteur, qui touche à l'économie bien sur, mais a aussi et surtout des répercussions sociales importantes.
Les exigences françaises en matière de droit d'auteur - dont on peut gager qu'Audrey Azoulay les reprendra au cours des prochains mois - ont toujours été très simples : si tant est qu'une modification de la directive droit d'auteur est réclamée par la Commission - et Matignon n'a jamais été particulièrement favorable à une telle modification - alors il faudrait qu'elle intervienne en même temps qu'une responsabilisation des plateformes en ligne quant aux contenus culturels qu'elles diffusent. Cette responsabilisation pourrait se faire dans le cadre même de la directive droit d'auteur, selon Matignon. Il faut noter que la responsabilité des plateformes est aujourd'hui impossible du fait du droit européen, et notamment des interprétations de la Directive eCommerce de 2000.
Copie privée
En outre, tout au long de l'année 2015, Matignon a souligné l'importance pour la Commission européenne d'agir sur la rémunération des auteurs et interprètes pour l'exploitation numérique de leurs oeuvres en même temps que sur le droit d'auteur. Or les représentants des auteurs et interprètes, qui ont défendu ce droit tout au long de l'année 2015 à Bruxelles, n'ont pas reçu d'assurance de la Commission sur le fait que ce dossier sera en effet résolu rapidement. Voilà donc un autre dossier de taille pour Audrey Azoulay.
Il y a aussi pour la France un volant d'action supplémentaire au niveau européen, concernant la rémunération pour copie privée. Sur celle-ci, qui est pourtant une exception au droit d'auteur, la Commission européenne n'a pas précisé de calendrier. En effet, lorsqu'on lit attentivement la communication du 9 décembre, l'on découvre que la Commission parle du "printemps 2016" pour presque toutes les mesures, mais pas pour la copie privée. Cela dit, la Commission subit d'énormes pressions de la part des importateurs de biens électroniques pour modifier ce régime en même temps que ses premières propositions. Les possibilités d'action au niveau politique sont donc ouvertes également sur ce dossier, afin de convaincre la Commission de prendre son temps et d'obtenir, le cas échéant, que la copie privée continue de bénéficier aux créateurs et interprètes.