Le numérique toujours insoluble dans le gouvernement

Axelle Lemaire quitte le secrétariat d'Etat au numérique. Son action à ce poste n'est pas à blâmer plus que celle de ses prédécesseurs. L'heure d'un bilan a sonné pour la politique française face à l'économie numérique.

Le départ d'Axelle Lemaire, secrétaire d'Etat au numérique, partie rejoindre le rangs du candidat Benoit Hamon, est l'occasion rêvée de faire un bilan, non pas de son action, mais des rapports entre le numérique et les gouvernements. Depuis l'émergence des "autoroutes de l'information", pour reprendre la terminologie popularisée par Lionel Jospin, les différents gouvernements qui se sont succédés ont chacun apporté une réponse à ce défi : comment rendre l'action du gouvernement soluble dans la nouvelle économie du numérique ? Les protagonistes n'ont pas manqué : Eric Besson, Nathalie Kosciusko-Morizet, Fleur Pellerin, Axelle Lemaire, et on en oublie certainement, pour ne citer que les plus remarquables. L'action gouvernementale s'étale sur déjà plus d'une décennie, et au final, le bilan est maigre pour ne pas dire famélique. Quel fut le plus gros problème ? Sans doute la mauvaise conscience des politiques lorsqu'il s'agit d'appréhender un sujet aussi transversal, qui dépasse les frontières de l'économie, mais aussi fait naitre de multiples fantasmes et chimères.

Y a t-il une mesure concrète forte que l'on peut retenir de ces années ? Difficile de répondre... La loi République numérique d'Axelle Lemaire est certainement le plus gros dossier à mettre au crédit d'un gouvernement. Ce texte, mal fichu, largement critiqué par le Conseil d'Etat et les différentes commissions, a finalement été voté, mais son application reste illisible pour la plupart des mesures. Et pour cause, il est borné voire effacé dans la plupart des cas par les directives européennes (mesure sur la "privacy"), les jurisprudences ("droit à l'oubli") ou encore les aléas du marché ("net neutralité", "responsabilité des plateformes", "logiciel libre") ...

French Tech

Pour les ministres précédents en charge du portefeuille du numérique, le bilan est également trop mince pour être considéré comme marquant ou pouvant produire de vrais effets dans la société. Les gouvernements de François Fillon ont bien lancé Etalab, mais cela reste une mesurette plus idéologique qu'autre chose. Fleur Pellerin a souhaité investir dans la matrice des start-up, élaborant les contours de ce qui deviendra la French tech... Mais là encore, les effets sur la société sont minimes voire inexistants. La French Tech n'est qu'un déplacement des crédits alloués par la France pour faire la promotion de son économie. Quelques millions qui ne pèsent rien quand les champions avancent derrière des leaders financés à coup de milliards de dollars !

Voilà d'ailleurs, si l'on prend comme étalon les entreprises anglo-saxonnes, ce qu'aurait dû être l'action du gouvernement depuis 15 ans : faire émerger une place forte du financement des entreprises du numérique en France. Peine perdue, l'éco-système de la start-up française est un cimetière. Les morts sont légions, qui ont reçu moins d'un million d'euros pour lancer une entreprise et ensuite la fermer quelques mois plus tard faute d'investissements plus substantiels. Sur ce point, c'est l'échec patent de la banque publique d'investissement... Habitus d'une aristocratie du CAC 40, l'outil de financement lancé par François Fillon a été pris d'assaut par les cadors du capitalisme français pour financer leur R&D - Orange et banques en tête - et n'a absolument pas joué son rôle pour développer de nouveaux champions français du numérique. D'ailleurs, ce terme n'existe pas. Il n'existe pas de champions français du numérique, hormis Orange et Free.

Arcep

Pas de champion français du numérique ! C'est là certainement le critère le plus sûr pour évaluer l'action du gouvernement français depuis une décennie que le réseau des réseaux a envahi nos vies. Et pourtant, Xavier Niel a joué son rôle de business-angel à la perfection, avec Jacques-Antoine Granjon ou d'autres. Le "seed" comme on dit n'est pas un souci pour la plupart des entrepreneurs. La machine française se grippe lorsqu'il devient nécessaire de lever plusieurs millions d'euros, et elle est incapable de porter sur les fonds baptismaux des levées de plusieurs centaines de millions d'euros ! A moins, pour les start-up de se vendre ailleurs, comme Deezer ou Criteo.

Un autre exemple frappant de cette déconvenue du numérique. La France avance à coup de milliards sur la fibre et le mobile (3G puis 4G et bientôt la 5G). L'infrastructure est indispensable pour les start-up. Qui en profite ? Facebook, YouTube, Netflix, Apple, Spotify, Snapchat, etc. L'investissement des opérateurs de télécommunications en France est le premier vecteur de réussite des champions du numérique internationaux. Il n'y a pas d'acteur français. Pire, les groupes comme Le Figaro ou TF1 qui ont racheté à tour de bras pour acquérir une place sur ce marché du numérique ne gagnent presque rien en définitive. Le retour sur investissement est plus que nul. Sans prôner forcément une préférence nationale en matière d'économie, on peut cependant s'interroger sur la gouvernance d'une agence comme l'Arcep ! D'ailleurs son DG part chez Google...

Programmes

L'avenir n'apparait pas plus ouvert. Les programmes des candidats à la présidentielle n'apportent rien de très différents. En bon marxiste des salons découvrant les gains de productivité du numérique, Benoit Hamon a décidé de baisser les bras devant la vague, préférant jouer la carte du revenu universel. Emmanuel Macron n'a pas un mot envers les banques, qui sont pourtant les grandes absentes de cette affaire. François Fillon est dans la ligne politique de la droite depuis Nicolas Sarkozy; pour ne citer que les programmes les plus réalistes de cette campagne.

Le constat est donc de plus en plus clair avec les années. Ce n'est pas un simple ratage au démarrage, mais bien la répétition des mêmes erreurs, autrement dit, une idéologie qui est au pouvoir et dont les conséquences pratiques sapent les chances de l'économie française d'apparaitre en bonne position. La France est sur une voie de garage en ce qui concerne le numérique. Elle n'a pas été forcée d'y entrer. Elle s'est garée là par conviction.