Benoît Hamon est le second des candidats à répondre à notre questionnaire après François Fillon. Le socialiste inscrit son projet pour la culture dans la droite ligne des valeurs de la gauche : éducation culturelle, accès à la culture, émancipation des territoires, développement du participatif, bien entendu, mais aussi, Benoît Hamon n'hésite pas à taper du poing sur la table concernant les GAFAN (qui devront participer au financement de la création), ou le piratage, qui selon lui grève les revenus des créateurs. Le candidat du PS veut créer une maison commune de la musique, sacraliser les recettes du CNC, ou encore n'est pas favorable à une nouvelle loi sur la liberté de panorama. Enfin, il voit d'un bon œil l'arrivée de SFR dans le cinéma.
Quelle est la place de la culture et de ses industries dans votre programme ?
On ne peut penser le monde qui arrive sans savoir et porter ensemble d’où l’on vient et qui l’on est. Nous sommes un pays fort de sa culture, de son patrimoine, de ses artistes et de son projet commun ; et dans le même temps un pays d’une diversité culturelle parmi les plus riches au monde. Produit de son histoire, fragilité et richesse de son présent, cette diversité est une force pour son avenir.
Regardons en face le fait que la culture fait l’objet d’une double confiscation. Par les élites d’une part, qui en jouissent tel un attribut, et par les forces économiques d’autre part qui l’utilisent comme une marchandise à forte valeur ajoutée, oubliant au passage les créateurs.
Je fais mienne la belle idée des droits culturels, qui valorise la participation des citoyens aux projets artistiques ou patrimoniaux et reconnait la richesse et l’expression de leurs cultures. Nous avons besoin de beauté dans l’espace public, nous avons besoin de nous sentir spectateurs actifs et d’éprouver le désir et le plaisir de la pratique culturelle. Je souhaite porter comme une exigence majeure l’art et le patrimoine comme une chance pour tous ; par l’éducation et la médiation, à l’école et tout au long de la vie, par la présence d’une offre culturelle sur tous les territoires. Prendre acte de l’évolution inéluctable du monde du travail, de la nécessité absolue de repenser le revenu et le rapport entre travail et temps libre participe évidemment d’une culture désirable.
Je veux porter un projet politique qui donne toute leur place aux artistes, aux intellectuels et aux créateurs pour s’engager et créer dans la société. Ils sont des esprits libres, nous avons besoin d’eux pour repenser sans cesse le monde. Ils ne nous attendent pas pour imaginer et c’est tant mieux. Pour cela ils doivent être reconnus et pouvoir vivre de leur travail. Défendre les artistes c’est aussi empêcher toute forme de censure. Je serais particulièrement vigilent à ce que notre république garantisse la liberté d’expression de la création.
Loin de la naïveté qui ignorerait la puissance des nouveaux modèles du numérique et l’importance des industries culturelles, je veux affirmer que, quelles que soient les innovations technologiques et industrielles, je défendrai la plus large diffusion de la diversité culturelle, le droit d’auteur et le financement mutualisé de la création à l’échelle française et européenne.
Quels seront vos premières décisions en tant que président en matière de culture ?
Il y en a plusieurs mais j’en citerai deux : la mise en place d’un cadre précis pour une politique volontariste de diversification des nominations à la tête des structures culturelles. Il n’est plus acceptable que les femmes qui sont si nombreuses dans les formations artistiques et culturelles soient si minoritaires dans les postes de direction. De même, la diversité culturelle de notre pays doit se traduire dans les nominations. La deuxième est le lancement du plan pour l’art et la culture à l’école.
"la relation entre culture et éducation populaire est une belle tradition de la gauche"
Quel est selon vous le profil idéal de celle ou celui qui doit siéger rue de Valois ?
Je proposerai un Ministère de la culture, des médias et du temps libre : Reconsidérer le travail comme vecteur d’émancipation, c’est permettre à chacun de faire des choix suivant ses propres aspirations, c’est stimuler le temps libre pour qu’il soit d’intérêt créatif et citoyen. La pratique culturelle, amateur ou en tant que spectateur doit être désirable. On doit pouvoir pratiquer et apprendre la musique ou le dessin à tout âge, quel que soit son milieu ou sa situation économique. C’est pourquoi la relation entre culture et éducation populaire est une belle tradition de la gauche. Envisager ce rapprochement au sein d’un ministère, comme de nombreux acteurs le suggèrent, me paraît dans la droite ligne de la reconnaissance des droits culturels. Affirmer l’importance des médias comme service public d’éducation, d’information et de culture, prendre en compte les nouvelles modalités de pratiques et de consommation culturelles par le numérique sont également des enjeux fondamentaux.
Quant au profil du ou de la Ministre, il n’y a pas de profil unique. Ce doit être une amoureuse ou un amoureux des arts et du patrimoine bien sûr mais surtout quelqu’un doté d’une forte crédibilité politique, qui pourra agir sur la durée.
Allez vous augmenter le budget de la culture, et si oui, pour quelles missions ?
Je porterai les concours publics à 1% du PIB. Je porterai l’ensemble des concours publics à la culture (Ministères, collectivités locales et recettes fiscales) à 1% du PIB. Ils passeront progressivement de 19 à 22M€ avec quatre objectifs : éducation, soutien à la création, fabriques de culture et réinvestissement territorial.
Je porterai un nouveau projet culturel avec les territoires.
Face à leur désinvestissement récent, un dialogue nouveau doit être impulsé avec les collectivités au moyen de projets culturels territoriaux. Je souhaite permettre un nouvel engagement des collectivités, que l’Etat soit force d’impulsion et de réduction des inégalités, notamment entre les grandes métropoles et les autres territoires, que ces démarches permettent aussi de reconnaître et de diffuser des expériences locales innovantes en matière de culture et de patrimoine.
"Que le piratage soit combattu et les auteurs justement rémunérés"
Comment envisagez-vous le rapport entre le monde de l'économie numérique et la culture ou la communication ?
L’exception culturelle portée par la France depuis le front populaire et qui a permis le développement de la création et de la diffusion comme aucun pays au monde n’y est parvenu n’est pas un principe dépassé. C’est tout simplement considérer qu’en matière de culture, la loi du plus fort, du plus rentable, du plus mainstream ne peut garantir la création, le temps long et la non rentabilité qu’elle implique, la sauvegarde du patrimoine. Au contraire, les gros doivent financer les petits, les succès déjà acquis les projets à venir. Les acteurs numériques et économiques existants - Telco, GAFAN…- ou qui émergeront demain, dont une large part du succès vient du partage ou de la diffusion d’œuvres, doivent comprendre qu’ils devront rétrocéder une part de la richesse aux créateurs et qu’on leur demandera de contribuer à la création de demain et à la diversité par la taxation. Et c’est d’ailleurs à long terme leur intérêt. La culture a été le premier secteur ubérisé sans qu’on s’en rende compte, avec des géants de la diffusion et une atomisation de la création. Penser la redistribution de la valeur est fondamental. Ce qu’on portera sur la culture peut être précurseur de chaînes de valeur équitables dans d’autres domaines.
Je souhaite porter :
- La taxation des nouveaux acteurs du numérique qui dégagent de la richesse comme n’importe quelle entreprise.
- Qu’une partie de cette taxation revienne au financement de la culture.
- Que le piratage soit combattu et les auteurs justement rémunérés.
- Favoriser l’émergence de nouveaux acteurs de l’économie numérique qui fondent leur modèle sur le partage des valeurs créées (coopérativisme de plateforme). Il n’y a pas de fatalité à ce que l'économie collaborative se limite à la surexploitation et à la précarisation de ceux qui produisent les richesses : elle peut aussi donner lieu à de nouvelles formes d’entreprises sociales et solidaires. C’est pourquoi je souhaite encourager une économie « réellement collaborative », fondée sur la coopération et productrice d'emplois locaux durables, qui associe ceux qui produisent les richesses à la gouvernance des plateformes.
Je porterai le principe du respect du droit d’auteur et m’opposerai au niveau européen à la généralisation du principe du pays d’origine pour le remplacer par celui du pays où les œuvres sont vues pour qu’on n’applique pas la règle du moins disant pour la rémunération des auteurs.
Je souhaite la promotion et le développement des systèmes collectifs de perception et de redistribution transparents et équitables dans chaque filière, livre, arts plastiques cinéma, musique… Il est en particulier indispensable de pérenniser le système de financement du cinéma et d’imaginer une maison commune pour la musique.
Ne serait-il pas temps de fusionner les autorités administratives indépendantes, comme l'arcep, le csa, la hadopi ? Ou bien considérer le bienfondé de la suppression de ces instances ?
Concernant l’hadopi Le préjudice économique et social du piratage se chiffre en milliards d’euros en manque à gagner pour les auteurs dont les œuvres sont diffusées et consultées illégalement mais aussi en manque à gagner de redistribution dans les différentes filières, le cinéma, les arts plastiques notamment. C’est bien une bataille politique et culturelle qui reste à gagner même si cela progresse lentement avec le streaming, qui permet enfin notamment au secteur musical de retrouver un équilibre, mais la route est encore longue
Au-delà de ces aspects financiers, moralement, la préservation du droit d’auteur fait partie de notre pacte républicain. Sans droit d’auteurs, faute de revenus réguliers, l'artiste ne peut être indépendant ni financièrement, ni artistiquement. Je reste donc convaincu qu’il faut affirmer l’absolue nécessité qui s’attache à défendre le droit d’auteur et donc à n’avoir aucune complaisance avec le piratage. Je pense donc qu’il faut conserver un dispositif de sanction à l’encontre du piratage, mais qui soit géré par la justice. Il y a infraction, il doit y avoir sanction et envisager de transférer les missions d’Hadopi relatives à la promotion des offres légales au Ministère de la culture.
Hadopi n’a en effet pas fait la preuve de son efficacité et n’a pas les moyens d’agir sur les nouveaux modes de consommation illégaux liés au streaming et elle coûte cher.
Concernant le CSA, je pense qu’il ne doit plus gérer les nominations de l’audiovisuel public, qui doivent revenir aux conseil d’administration des chaînes, dans un cadre rénové pour garantir leur indépendance éditoriale.
Êtes vous favorable à un rapprochement de l'industrie de la musique et du CNC ? Ou bien faut-il créer un centre national de la musique, et dans ce cas, qui doit contribuer financièrement ?
Je me suis prononcé pour une maison commune de la musique, qui doit pouvoir se construire dans le dialogue avec l’ensemble des acteurs de la filière. Ces discussions qui ont déjà commencé doivent se poursuivre avec l’accompagnement de l’Etat. Le financement pourrait provenir des ressources issues de la taxation des acteurs du numérique évoqué plus haut.
Est ce que le budget du CNC doit être sacralisé ?
Oui. C’est un système de financement vertueux, il doit être maintenu, sans écrêtement intempestif.
"Ce droit de panorama ne concerne pas, et n’a pas vocation à mon sens à concerner, les utilisations commerciales."
Allez-vous revoir les propositions concernant la liberté de panorama ?
Concernant l’espace public et la notion de « droit de panorama », ma position est très claire. Je considère que le compromis qui a été trouvé lors du vote de la LOI n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique est le bon. Ce dernier stipule en effet que ne peuvent être interdites « les reproductions et représentations d'œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l'exclusion de tout usage à caractère commercial. »
Ce compromis permet au grand public de pouvoir apprécier et faire apprécier les œuvres auxquelles ils ont accès dans l’espace public, dans un usage privé et non lucratif. Il permet également la diffusion d’images dans le cadre des systèmes gratuits et coopératifs de diffusion de la connaissance, du travail des acteurs de la recherche et dans un cadre pédagogique. Ce droit de panorama ne concerne pas, et n’a pas vocation à mon sens à concerner, les utilisations commerciales.
Pensez-vous que le fait que Wikipedia ait évincé tout concurrent est une bonne chose pour la société ?
Je l’ai dit plus haut, je souhaite le développement le plus large possible de plateformes collaboratives. C’est important pour la diversité. Mais ce qui l’est aussi c’est la diversité des contributions. On ne peut ignorer le fait que l’immense majorité des contributions sur Wikipedia provient des contributeurs du nord et des pays développés. Des acteurs formidables comme bibliothèques sans frontières tentent d’y remédier. Ils doivent y être encouragés.
Orange et Canal Plus plus doivent-ils se rapprocher ? Capitalistiquement ?
Je suis a priori prudent sur les questions de concentration. D’autant que je souhaite une nouvelle loi anti-concentration pour les médias, la législation actuelle datant d’avant l’émergence de la diffusion de contenus sur Internet;
SFR veut être un partenaire du cinéma. Quels sont selon vous les obligations que l'opérateur doit endosser ?
Participer au financement de la création et à la diversité, comme les autres acteurs.
Êtes-vous favorable à une réforme des lois sur les seuils anti-concentration dans les médias ?
Oui.
Que signifie pour vous la neutralité du net ?
Un principe fondamental qui doit se traduire dans les fait par l’égalité d’accès aux réseaux et à toutes leurs sources.
Doit-on continuer d’investir dans les télécoms, ou dans les industries de la culture ?Evidemment. C’est un secteur essentiel de développement