Les preuves du harcèlement des députés par les anti-droit d’auteur au Parlement européen

Le 2 juillet, Julia Reda et les Verts vont tenter de bloquer le vote du mandat de négociation du Parlement européen avec le Conseil sur la directive droit d'auteur. Leur succès étant loin d'être garanti, leurs partisans comptent sur le tapage sur les réseaux sociaux, et sur une campagne de harcèlement des euro-députés, qui les ralentit dans leur travail. 

Hier la Commission Affaires juridiques, dans laquelle sont représentés tous les groupes politiques du Parlement européen, a voté le projet de mandat de négociation de la directive droit d'auteur à une "très large majorité, de 14 à 9", rappelle Véronique Desbrosses du GESAC. En général, une telle majorité augure d'une adoption sans problèmes du mandat en question en session plénière. Pourtant, les opposants au droit voisin des éditeurs de presse et aux obligations des plateformes en matière d'oeuvres protégées ne l'entendent pas de cette oreille, et espèrent encore bloquer le mandat, et in fine l'adoption du texte de la Directive. Leurs chances sont minces, très minces. C'est sans doute pour cela que ces derniers ont mis en branle leur machine communicationnelle dès avant le vote en commission, en prévision du vote en séance plénière. Le but est double : il s'agit d'abord de rassembler leurs partisans sur les réseaux sociaux en utilisant des slogans simplistes basés sur la "censure d'internet" soi-disant amenée par le projet de directive. Une fois les partisans amenés sur les sites internet construits dans ce but, il leur est demandé ni plus ni moins que de harceler les parlementaires.

35600 e-mails

"Nous avons du mettre en place des filtres à spam car nous recevions des milliers d'e-mails copiés-collés. Jusqu'à dix par minute !"  nous a indiqué le collaborateur d'un parlementaire européen. Jusqu'à hier, ce sont les membres de la Commission Affaires Juridiques qui ont été inondés de messages, "mais nous nous attendons à ce que les autres députés en reçoivent, avant la plénière", a précisé un autre assistant parlementaire. "Les stratégies de lobbying qui sont encore utilisées à l’encontre des eurodéputés et de leur équipe qui se sont exprimés en faveur d’un droit d’auteur protecteur ont été particulièrement virulentes. Parmi elles, les envois en masse ou « massive spamming » ralentissent notre capacité de traitement des affaires courantes en saturant nos boîtes de courriers électroniques. A l’heure où je vous parle je compte plus de 35 600 mails supprimés", nous a confié la députée européenne Virginie Rozière.

capture d'écran d'un e-mail de la campagne Create refresh

 

Cette campagne, qualifiée de "harcèlement" par plusieurs observateurs, est orchestrée par Julia Reda, et par une partie des euro-députés Verts, sous les applaudissements et avec la contribution des grands groupes du web. Ainsi, nombre de tweets contre le projet de directive écrits par la députée du parti Pirate ont été repris par les représentants du CCIA, tels que Maud Sacquet. La teneur est toujours similaire à celui qui est reproduit ci-contre, où Julia Reda affirme que "nous allons emmener cette bataille à la session plénière et espérons toujours #SauverVotreInternet." 

Comme nous l'avions vu ici, Julia Reda et les géants du Net travaillent, et continuent de travailler dans le même but, même s'il n'est pas toujours facile de débusquer les liens entre eux. Par exemple, sous une video qu'elle a elle-même publié sur son blog hier, Julia Reda a posté un lien vers la campagne d'e-mailing des euro-députés dont nous parlions plus haut, et qui a été mise en place par "Create Refresh". Cette initiative est soutenue entre autres par la Quadrature du Net et les Creatives Commons, mais aussi par Copyright4Creativty, une opération en apparence dormante financée entre autre par le CCIA (les géants du net), ainsi que par le think tank Renaissance Numérique, un organisme basé en France et dont les membres corporate qui contribuent les plus larges montants sont "La Poste, Orange, SAP, Google, Facebook, BNP Paribas, Microsoft France, La Française des Jeux." Google en est parmi les membres fondateurs.

Pas dupe

Comme d'habitude, c'est un jeu de cache-cache pour savoir qui exactement finance quoi dans ces campagnes contre le droit d'auteur qui se parent volontiers des habits de campagnes citoyennes. Mais "nous ne sommes pas dupes : Julia Reda et les géants du Nets partagent le même message", insiste un collaborateur parlementaire. Virginie Rozière est du même avis : "plusieurs manifestations ont été organisées à l’intérieur ou à l’extérieur du Parlement européen. La veille du vote, EDIMA, l’association qui représente les entreprises du numérique faisait stationner trois camions publicitaires sur la place du Luxembourg, un exemple  qui illustre bien l’ampleur des moyens investis par ceux qui ont mené des campagnes de lobbying intense pour tenter d'influencer les débats sur cette réforme. Si, dans le cas des camions publicitaires, le commanditaire de l'action était identifié, ce n’a pas toujours été le cas et bien souvent les GAFAM se sont cachés derrière des argumentaires envoyés par des « citoyens »."

Les messages des campagnes de e-mailing - qui sont tous semblables les uns aux autres - utilisent les poncifs habituels de ceux qui luttent contre toute régulation des sociétés actives sur Internet en matière de droit d'auteur. En voici un résumé : "violation de la liberté d'expression", violation "de la déclaration des droits de l'Homme", ainsi que l'affirmation que "l'abrogation de l'article 13 ne mettrait pas en danger les droits des ayants-droits." On pourra noter le caractère véritablement effronté de ce dernier argument, puisque les ayants-droit affirment l'inverse depuis des années, et ont réussi à convaincre la plupart des députés de la Commission juridique que le progrès était de leur permettre de protéger leurs oeuvres. "L’objectif n’est pas d’interdire mais d’autoriser l'utilisation des oeuvres dans de bonnes conditions", résume David El Sayegh, secrétaire général de la Sacem, ajoutant que "le texte prévoit une mise en balance des intérêts, et prévoit même l'autorisation a priori de l'upload de contenus par les usagers des plateformes." Pas de censure, donc.