Financement du CNM : Julien Bargeton soutient une taxe sur le streaming

Le sénateur Julien Bargeton a remis aujourd'hui à la ministre de la culture son rapport sur la stratégie de finalement de la filière musicale. Ses préconisations pour le financement du Centre national de la musique, basées sur une taxe sur le streaming, ne feront pas l'unanimité dans le secteur, loin s'en faut. 

"Faire du Centre national de la musique l’outil d’une nouvelle ambition" : tel est le sous-titre du rapport du sénateur Renaissance Julien Bargeton remis aujourd'hui à la ministre Rima Abdul-Malak. Mais le sénateur a choisi une voie qui sera chaotique et contestée pour parvenir à cette ambition. Au bout de six mois de rendez-vous avec les représentants de la filière, le sénateur propose d'en revenir à l'idée qui avait été déposée cet été par la DGMIC sur le bureau de la Ministre de la culture : celle d'une taxe sur le streaming. Une chose est d'ores et déjà claire : cette préconisation n'est pas du gout ni des grands producteurs de musique, ni des plateformes de streaming, et l'on peut s'attendre à des remous au cours des prochaines semaines. Le rapport propose également d'élargir la taxe billetterie qui finance partiellement le CNM au-delà de la variété, à tous les spectacles musicaux, et de réviser le système du "droit de tirage", qui permet aux producteurs de live de récupérer la majeure partie de cette taxe.

Pérennité 

Il ne fait évidemment pas de doute que l'établissement public de la musique, né en pleine crise sanitaire après 10 ans de tergiversations, a déjà été utile à la filière. Par exemple, pas plus tard qu'hier, les éditeurs de musique ont salué son action de soutien, qui a contribué à leur permettre d'investir dans de nouvelles œuvres malgré les difficultés liées à la fermeture des salles de spectacle. Les producteurs et salles eux-mêmes ont également été largement soutenus par le CNM. Il faut à présent, pour qu'il soit pérenne, adresser la question de son financement.

Exit budgétisation et copie privée

Le rapport Bargeton examine plusieurs possibilités à cet effet, telles que la budgétisation ou l'utilisation d'une partie du produit de la taxe GAFA, et les écarte. Il écarte également l'idée d'une utilisation du 25% copie privée des OGC, tout en estimant qu'il est nécessaire que collectivement, ils contribuent à hauteur de 6 millions d'euros par an au budget du CNM, comme il en avait été question lors du lancement de l'établissement.

La filière va bien

Pour rejeter la budgétisation, le sénateur explique que "même si la situation est très disparate selon les acteurs, dans son ensemble, la filière musicale (aussi bien pour la musique enregistrée que pour le spectacle vivant) est dans une situation économique satisfaisant (sic), la « crise du disque » (pour la musique enregistrée) et les fermetures de salle pendant la crise sanitaire (pour le spectacle vivant) étant des situations révolues (cf. 1.1). Mobiliser des crédits budgétaires pour soutenir une filière qui dégage globalement des bénéfices ne sera pas aisé à défendre." Certains producteurs de musique, et notamment les majors, ne manqueront probablement pas de rappeler que, du fait d'une TVA supérieure à celle du spectacle vivant, ils contribuent davantage au budget de l'Etat. Cela fait d'ailleurs des années qu'ils réclament un taux de TVA similaire à celui des spectacles. Une possibilité pour le financement du CNM aurait pu être de détourner une partie du produit de la TVA supplémentaire que le disque verse à l'Etat. Cela aurait permis de ne pas imposer de taxe supplémentaire sur le secteur de la musique enregistrée. Mais Julien Bargeton n'examine pas cette possibilité dans son rapport.

Cibler la musique enregistrée

Au contraire, il conclut que "le principe d’une contribution du streaming semble le mieux à même de répondre aux différents enjeux". Comme le demandait notamment la Sacem, le sénateur estime que cette taxe doit concerner à la fois le streaming gratuit et le streaming payant : "taxe sur la consommation de musique en flux (streaming), que celle-ci soit le fait d’un abonnement (streaming payant) ou d’une plateforme intercalant de la publicité (streaming gratuit)." Il se justifie de la manière suivante : "cette possibilité a l’avantage de cibler très expressément le secteur musical, plus spécifiquement la musique enregistrée, ce qui répond à l’objectif de rééquilibrage (entre spectacle vivant, qui contribue au budget du CNM via la taxe billetterie, et musique enregistrée, NDLR) et permet de démontrer sans ambiguïté le « lien avec les missions de service public » du CNM, rendant possible une affectation. Dans une perspective de rendement, l’écoute en streaming correspond au mode de consommation à la fois majoritaire (61 % des revenus 2022 de la musique enregistrée) et le plus porteur (+13 % par rapport à 2021).

Deezer

L'un des problèmes ici est que cette taxe va cibler notamment Deezer. Deezer est à la fois l'un des seuls champions français du numérique dans le B2C, une ancienne "licorne" grâce à laquelle la French Tech, programme gouvernemental, a pu mettre en avant le soutien de la France à la tech, mais aussi une société qui n'est pas au mieux de sa forme. Lors de son entrée en bourse, la société valait plus d'un milliard d'euros, avec un cours à 10 euros. Aujourd'hui, elle n'en vaut plus qu'un peu moins de 170 millions d'euros... Autant dire que Deezer ne convainc pas le marché. On peut imaginer que charger la barque du champion français d'une nouvelle taxe aujourd'hui mettra Bercy et le Ministère de la culture en porte-à-faux...