Apple a enregistré 2 millions de pré-commandes pour iPhone 5 en 24 heures. Preuve que la stratégie de fond de Cupertino fonctionne encore, malgré la concurrence enragée.
C'est une évidence sur la plupart des marchés mais ça ne l'est pas en ce qui concerne les téléphones portables. Apple vient d'annoncer 2 millions de pré-commandes pour son iPhone 5 - rappelez vous, c'est celui que les médias IT avaient trouvé si banal, pour ne pas dire ordinaire comparé aux autres smartphones. C'est un record absolu dans le genre, mais est-ce besoin de le préciser, puisque Apple collectionne les records absolus avec sa gamme iPhone depuis son apparition en 2007. Pourquoi donc, un téléphone donné comme presque perdant par la presse et les observateurs "avertis" vient-il de reléguer le Samsung Galaxy SIII, certainement un téléphone correct, au rang de simple faire-valoir en quelques jours ? Tout d'abord, il est évident que Samsung s'y attendait, et que la direction mobile du géant coréen savait qu'il leur fallait limiter la casse en sortant la version SIII au plus tôt, pour éviter le douloureux face à face. Ainsi, le SIII s'est vendu à 20 millions d'exemplaires dans le monde en cent jours, ce qui est un bon chiffre, si tant est qu'il corresponde à quelque chose de consistant chez un fabricant qui ne communique jamais sur les ventes effectives mais uniquement sur les livraisons. Bref, la déferlente iPhone est lancée, et Samsung va pouvoir reprendre son rôle de poulidor des smartphones haut de gamme, en espérant que les rabais consentis sur la gamme iPhone 4 et 4s ne viennent pas lui grignoter aussi sa place de leader actuel du marché.
Samsung en tête en août
Ceci dit, le succès de l'iPhone 5, s'il se vérifie dans le temps, et sur ce point il est impossible de le savoir, repose sur quelques fondamentaux. Tout d'abord, l'attente sur la version 5 était forte, voire très forte. Premier indice, l'iPhone 4S aux Etats-Unis occupait la place de numéro un chez tous les opérateurs - qui le commercialisent - jusqu'en août dernier, où pour la première fois, le Samsung SIII l'avait détrôné, sauf chez AT&T, le partenaire historique d'Apple sur son marché domestique. En revanche, la baisse de forme du 4S s'était faite ressentir déjà sur les marchés européens. Doit-on analyser cet essoufflement comme étant un effet d'une concurrence accrue ? Pas forcément, les études se suivent et démontrent que la perméabilité entre les mondes Android et iOS est sélective : elle ne fonctionne surtout que dans un sens. La fidélité des acheteurs d'iPhone est la plus forte du marché. Celle des acquéreurs de produit Android est inférieure, mais surtout les souhaits de ces derniers lorsqu'il s'agit d'acheter un nouvel appareil se portent plus vers un iPhone, le rival. L'inverse n'est pas vrai dans les mêmes proportions. Ce qui confirme l'idée que le monde Android, dont on ne peut pas remettre en question le succès en terme de volumes de ventes, agit surtout comme une porte vers le monde iOS pour le grand public : Android reste loin derrière iOS sur l'utilisation Web, chiffre d'affaires générés, sans parler des marges des fabricants.
Free Mobile
La baisse des ventes d'iPhone depuis le début d'année peut donc se comprendre comme la conséquence d'une attente des clients. Une bonne proportion préférait attendre le 5, quitte à rester avec un vieux modèle. Le rythme de renouvellement des smartphones se situe aux alentours de 3 ans pour iPhone. Il est bien plus court chez les autres marques, pour des raisons liées essentiellement à la surabondance de nouveaux modèles, la piètre qualité des modèles moyen et bas de gamme, et l'intérêt des opérateurs à subventionner l'achat d'un appareil pour renouveler un contrat sans se soucier des avantages qu'il apporte au client final. Cette politique - dénoncée par Free Moblie - transforme le client en vache à lait consentante qui paie plusieurs fois un appareil tout au long des années d'abonnement, et avait d'ailleurs été refusée par Apple lors du lancement de l'iPhone 1. Et pourquoi ? Parce que Apple estime qu'il était primordial de faire revenir le marché du portable sur des bases saines où la valeur de l'appareil est en rapport avec le prix payé. Pas de chance, les opérateurs de télécommunication n'étaient pas disposés à laisser la firme de Cupertino bazarder tout un processus construit à leur avantage - qui in fine a précipité la chute de Nokia, Motorola et Blackberry, les seigneurs de la subvention.
Fenêtre sur un monde complet et intégré
Cette intransigeance des opérateurs fut un mal pour un bien. Les toutes premières semaines de vente pour iPhone en 2007 ne furent pas les meilleures. Apple avait beau être très fier de leur appareil, les clients n'étaient pas disposés à acheter si cher ce qui, pendant des années, coutait si peu. Cupertino ravala sa fierté et proposa un rabais de 100 dollars pour soutenir les ventes. Et comble de l'horreur, le modèle suivant, doté de la 3G, réintégra le rang des appareils subventionnés au même titre que les autres. Les ventes explosèrent.
Cependant Apple n'en perdit pas pour autant son âme et continua sur sa lancée : faire le meilleur téléphone du monde, et non pas un ramassis de paramètres techniques gonflés, éparpillés dans une savonnette en plastique. Les fruits de cette politique intransigeante : "faire un bon produit" sont aujourd'hui évidents. Du moins, si l'on comprend qu'Apple est le premier à avoir implanté dans l'esprit du client qu'un iPhone est une fenêtre sur un monde complet et intégré. iPhone, iPad et Mac Os vivent de concert, avec iTunes et iCloud. Le succès de l'un des éléments de la chaîne entraine tout le reste : Apple a d'ailleurs intelligemment communiqué sur la force d'iTunes (400 millions de comptes !) et d'iCloud (plus de 100 millions) lors de la Keynote réservée à l'iPhone. iPhone 5 arrive ainsi à une période clef, où Apple a réussi à compléter ce que nous avions appelé à une autre époque "la synchronisation globale". Il manque encore la télévision pour achever le cercle iOS. Cela sera certainement bientôt le cas. Apple ne peut s'y soustraire.
Mouton
Est-ce que cela veut dire que les clients iOS sont prisonniers d'un modèle intégré ? La réponse n'est pas évidente. Apple, mis à part pour Siri - à propos duquel nous avions été un des premiers à pointer le risque "propriétaire" -, utilise des standards du marché : le AAC pour la musique, et en général tout ce qui vient du consortium Mpeg pour l'audio et la vidéo, ou encore le protocole Bonjour, le Wifi, OpenGl pour la 3D des jeux, les formats d'événements et de contacts universels, etc. Il y a bien des DRM sur les vidéos, mais c'est le lot de toutes les boutiques en ligne, du fait d'une politique encore frileuse des majors du cinéma et de la télévision. La grande différence par rapport aux autres marques informatiques est qu'Apple a construit un tout cohérent, dans lequel le client peut se mouvoir sans barrières, ou presque. Disons que pour l'immense majorité des clients iOS, cela ne pose aucun problème.
La raison en est fort simple : Apple veut contraindre le marché de l'informatique, habitué à penser en termes de mécanicien en un marché de l'utilisateur, qui ne veut que des boutons à presser et des usages qui fonctionnent. C'est une victoire pour ce dernier, pas pour le premier, mais il est en voie de raréfaction. La preuve, à en lire les commentaires, il renonce à comprendre l'appétit du grand public pour iPhone, et préfère se réfugier derrière ses propres apories, histoire de garder le beau rôle : le client Apple est un mouton. Peut-être, mais heureux.