Elle couvait, plus ou moins larvée, depuis des mois voire des années, mais cette fois, c’est sûr, la guerre est déclarée entre ayant-droit et industriels siégeant à la commission pour la copie privée. Cinq des six syndicats de fabricants et importateurs ont envoyé hier une démission en forme d’ultimatum au gouvernement : réforme ou blocage, il va falloir agir, et vite. (publié le 13 novembre)
Enième rebondissement au sein de la commission pour la copie privée : 5 des 6 organisations professionnelles du collège des industriels ont envoyé, lundi, leurs lettres de démission respectives à l’attention des ministres responsables de leurs nominations. Seule la Fédération Française des Télécoms reste, pour l’instant, à la table des négociations. Pour les autres, à savoir la Fevad (e-commerce et vente à distance), le Secimavi (entreprises de commerce international de matériel audio, vidéo et informatique), le Sfib (technologies de l'information), le Simavelec (matériels audiovisuels électroniques) et le Snsii (supports d'image et d'information), la "coupe est pleine".
Barèmes iniques ?
Les nouveaux barèmes, proposés par les ayant-droit le 20 septembre dernier, leur semblent inacceptables puisqu’élaborés à partir d’études d’usages dont ils contestent la méthodologie, sans compter le calcul dudit barème, dont ils dénoncent l’opacité. De plus, soulignent-ils, la rémunération copie privée serait, en France, jusqu’à trois fois plus élevée que dans les autres pays européens, ce qui favoriserait l’achat des biens à l’étranger, ou « marché gris », avec à la clé un manque à gagner de l’ordre de 80 millions en rémunération copie privée et de 17 millions en TVA si l’on en croît le SNSII qui voit là une « vraie machine à perdre ». En 2010, expliquent-ils, la rémunération pour copie privée a dégagé des revenus aux alentours de 190 millions d’euros, alors qu’une étude (commandée et financée par leurs soins à 8Advisory, se doit-on de préciser) estimait le préjudice véritablement subi par les ayant-droits à 52 millions d’euros... Le leitmotiv est connu, ces filiales des grands groupes de l'électronique en ont fait une arme de dissuasion depuis plusieurs années.
Pour 2011, le montant perçu serait de 192 à 193 millions, pour un préjudice évalué (encore et toujours par 8Advisory) à 60 millions d’euros. Pour les industriels, ce seraient donc environ 130 millions d’euros qui seraient indûment perçus chaque année, notamment en incluant les copies illicites et les usages professionnels dans l’assiette. Autre point soulevé par les 5 organisations réunies à la conférence de presse : la commission ne serait pas réellement paritaire, puisque les ayant-droit détiennent 12 sièges sur 24, mais bénéficieraient de surcroît de l’appui de plusieurs des 6 associations de consommateurs, ce qui leur permettrait de « décider de leur propre rémunération ». Les industriels demandent donc, et ce n’est pas la première fois, une réforme profonde de la commission copie privée, afin que cette ponction se limite, comme prévu dans la directive européenne de 2001, à la compensation du préjudice avéré. Ils affirment par ailleurs qu’en cas d’absence d’un accord le 20 décembre, date d’échéance de la validité des barèmes actuellement appliqués, la majorité des produits soumis à cette ponction pourraient s’en trouver libérés, exception faite des antiques cassettes VHS ou audio.
Importateurs et marges
Du côté des ayant-droits, évidemment, le discours n’est pas le même, et Pascal Rogard, directeur général de la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques) fustige d’emblée les « conneries » des « industriels entre guillemets, puisque ce ne sont que des importateurs ». Pour lui, les revendications portées aujourd’hui par ces organisations professionnelles sont les mêmes depuis 10 ans, et ne sont toujours pas justifiées. S’il refuse de parler des barèmes « qui sont censés être confidentiels » et précise juste qu’ils sont « ouverts à la négociation », le directeur de la SACD estime qu’il n’y a, contrairement à ce qu’affirment les industriels, aucun problème en France de retranscription du droit européen. Il reconnaît cependant que le Conseil d’Etat a « pointé deux problèmes » : le premier concernant l’assujettissement des copies pirates à la rémunération copie privée « et on en tenu compte », le second faisant suite à une jurisprudence partie d’Espagne et validée par la Cour de justice de l’union européenne sur la copie privée acquittée par les professionnels. Ce sont sur ces deux points, et seulement ces deux points, que ce sont basées les multiples annulations de décisions de la commission pour copie privée par le Conseil d’Etat insiste-t-il, précisant que la méthodologie ou l’organisation de la commission n’ont jamais été remises en cause par cette même instance. D’ailleurs, ajoute Pascal Rogard, une commission composée d’un tiers d’ayant-droits, d’un tiers d’industriels et d’un tiers de consommateurs donnerait une majorité à ceux qui payent (directement ou indirectement) la rémunération copie privée par rapport à ceux qui la perçoivent, ce qui constituerait un déséquilibre.
Sur l’assujettissement de produits comme le GPS et l’autoradio, décrié par les industriels comme étant en décalage avec les usages réels, le directeur de la SACD juge que, ces produits contenant des disques durs et/ou des fonctionnalités permettant de copier de la musique pour l’écouter, il est logique qu’ils y soient soumis, et, ajoute-t-il, il en serait de même si les industriels venaient, à l’avenir à inclure une fonction audio dans un rasoir électrique ou une fonction vidéo sur un frigo, par exemple. Pour ce qui est de la différence du taux de rémunération pour copie privée par rapport aux autres pays européens, il note que la comparaison n’est pas toujours justifiée, puisque les assiettes peuvent différer, comme en Allemagne, où les graveurs sont pris en compte. Pour lui, la France a également ceci d’exceptionnel qu’on y soutient plus la création, et l’utilisation des biens culturels y serait plus importante que dans d’autres pays, justifiant ainsi une rémunération pour copie privée plus élevée.
Déni de démocratie
La copie privée pénaliserait, in fine, les consommateurs selon les industriels ? Pas forcément estime Pascal Rogard, qui cite l’exemple britannique, où, en dépit de l’absence d’une telle ponction, un iPad est plus cher. Le directeur de la SACD accuse par ailleurs la grande distribution de faire des marges sur le dos de la rémunération copie privée et réclame que son montant soit affiché, une obligation à laquelle les industriels rechignent pour l’instant, au motif que le décret n’est pour l’instant pas paru. Enfin, il précise que le blocage dont menacent les industriels serait un "déni de démocratie" et ne saurait avoir lieu, puisque les décisions peuvent être prises en leur absence lors d’une seconde délibération.
Dans un communiqué envoyé mardi soir, les ayant-droits réunis (Copie France, Sacem, Adami, Spedidam, Procirep, SACD, Scam, SCPP, SPPF, Sofia et Sorimage) estiment que « la rémunération pour copie privée constitue un élément essentiel de la rémunération légitime de leur travail et du financement des activités culturelles de notre pays, où elles génèrent un nombre très important d’emplois, au travers notamment d’un grand nombre d’évènements culturels répartis sur l’ensemble du territoire national » et que « cette rémunération ne représente qu’une partie infime du chiffre d’affaires des entreprises qui ont cru pouvoir prendre l’initiative de quitter la Commission et dont l’activité consiste pour l’essentiel, s’agissant des supports assujettis, à importer des supports ou appareils fabriqués à l’étranger sans création significative d’emplois dans notre pays."