AFP et médias : l’alliance française entre malades – #Gratuit

L'AFP a annoncé aujourd'hui ses projets pour 2013. La troisième agence de presse mondiale est troublée par les soucis financiers de la presse française, ainsi que par les poursuites pour aides d'Etat illégales par la Commission européenne qui devraient aboutir à une décision d'ici peu. (Publié le 28 novembre) 

L’Agence France Presse veut continuer d’être une béquille de plus en plus indispensable aux médias généralistes, alors même que ceux-ci vacillent et dégraissent leurs rédactions à tour de bras. Mais prise entre d’un côté l’incendie des modèles économiques de la presse généraliste quotidienne - sa cible traditionnelle - et de l’autre la possibilité de devoir rembourser les aides qui lui ont été attribuées par l’Etat français depuis de nombreuses années, l’AFP grelotte de concert avec la presse. La troisième agence du monde après Reuters et Associated Press tente tout de même de faire contre mauvaise fortune bon coeur en annonçant ses nouveautés pour 2013... des nouveautés ciblant pour l’essentiel les médias du passé, qui pourtant lui rapportent une partie infime de son revenu.

Alliance au pays des aveugles

L’AFP continue de courtiser la presse française «historique» - qui faisait par ailleurs partie des invités à la conférence de presse d’aujourd’hui - pour la conserver dans sa clientèle. Elle justifie ainsi la dépense -toute relative comme nous allons le voir - que font les médias traditionnels pour s’abonner à ses fils par des services supplémentaires, qui coûtent cher à produire, et ce sans augmentation de tarifs et même avec des baisses de prix représentant un total de 7,6 millions d’euros entre 2010 et 2012.

L’agence de la place de la Bourse a ainsi annoncé qu’elle lancerait courant 2013 un nouveau système de production et de diffusion de l’information, plus interactif, dans lequel elle a investi 30 millions d’euros. L’AFP mise aussi, comme elle le dit depuis longtemps déjà, sur la production video, visant à fournir plus de 300 vidéos par jour en 2013 contre 20 il y a dix ans ! Enfin, elle révèle qu’elle se lance désormais dans la confection de reportages «froids» sur des sujet tels que l’alimentation, les seniors, les jeux ou la psychologie qui pourront notamment être utilisés dans les versions week-end des journaux, s’écartant ainsi de son business historique de la «breaking news» afin de satisfaire le chaland.

 Quatre pourcent seulement ?

Cela suffira t-il à faire rester les 1315 clients français de l’AFP ? Car à bien écouter Emmanuel Hoog, il semblerait que certains journaux qui sont clients depuis toujours menaceraient de partir, non parce qu’ils n’apprécient pas le travail de l’agence, mais parce qu’ils n’en auraient plus les moyens. Et pourtant ils paient à l’AFP des prix défiant toute concurrence. En effet, d’après nos calculs, basés sur des chiffres fournis aujourd’hui par l’AFP, la presse traditionnelle française, y compris locale, ne représente que 4% du chiffre d’affaires de la vieille dame. Le calcul est très simple : l’AFP aujourd’hui, c’est 56% de chiffre d’affaires à l’international et 44% en France (chiffres AFP). Or, 40% de ce chiffre d’affaires global est fourni par l’Etat français, au travers d’abonnements à prix fort. On enlève 56% + 40% à 100%, il ne reste donc plus que 4% payés par la presse traditionnelle française. Sur un chiffre d’affaires global de 288,8 millions d’euros en 2012, celle-ci, en additionnant les versions locales et nationales, représenterait donc 11,5 millions, autant dire une pacotille.

Et alors même qu’il est évident qu’elle ne peut tirer plus de revenus de ces grabataires, eux aussi en mauvaise santé, et qu’il s’agit donc de dépenser plus pour gagner moins, et peut être même pour justifier des licenciements supplémentaires à l’intérieur des journaux, l’AFP leur offre encore plus de services, ce qui est commercialement peu viable. Cependant, à y regarder de plus près, cette bien étrange stratégie qui confirme le peu de vocation commerciale de l’AFP, pourrait lui être très utile dans un autre dossier. Car une agence de presse allemande a déposé plainte à la Commission européenne il y a quelques années pour aide illégale de l’Etat français à l’AFP. Or l’affaire sera tranchée d’ici quelques mois, et dans son cadre, l’AFP a tout intérêt à montrer qu’elle n’est pas un service commercial, mais un service public...

L’affaire des aides d’Etat

L’affaire des aides d’Etat est l’épée de Damoclès de l’Agence France Presse, et elle est très lourde. Non seulement l’agence allemande DAPD Nachrichten a déposé plainte en 2010 - cette même agence qui subit aussi des conditions économiques très dures - , soutenant que les abonnements de l’Etat français à l’AFP étaient en réalité un aide d’Etat, mais en plus, elle a obtenu une réponse provisoire de la Commission européenne abondant dans son sens. Si l’affaire est jugée en défaveur de l’AFP, l’Etat pourrait avoir l’obligation d’exiger le remboursement de toutes les sommes considérées comme une aide au cours des 10 années précédentes, ce qui pourrait représenter un total faramineux de plus d’un milliard d’euros !

L’Etat français possède au total 350 abonnements annuels de 319 000 euros chacun, pour un montant de 111,65 millions d'euros. Le prix par abonnement, qui serait le prix normal appliqué à un journal imprimant 150 000 exemplaires, ne choque a priori pas la Commission. En revanche, dans sa communication préliminaire sur le cas datant du 22 aout 2011, la DG Concurrence a estimé que « le fait d'assumer un nombre très élevé (plusieurs centaines) de souscriptions ne semble à première vue pas justifié pour un abonnement unique de services de texte».

Silence de la Rue de Valois

Or sur ce dossier, l’Etat français a devant la Commission une défense comportant des arguments totalement contradictoires, ce qui met l’AFP dans une position inconfortable. D’un côté, l’Etat soutient que «l'achat de ces abonnements est une transaction commerciale normale» et de l’autre qu’il souhaiterait une «transformation de l'abonnement actuel en compensation pour un service public». L’Etat lui-même ne semble donc pas savoir si l’AFP est ou non un service public alors que cette question est fondamentale... Ce sujet est certainement, et il convient de le regretter, le cadet des soucis de la rue de Valois qui n'a jamais communiqué sur ce sujet.

Car si service public il y a, l’AFP pourrait légitimement recevoir, non pas une aide d’Etat, mais une compensation de service public, ce qui est presque la même chose, et se faire payer très peu par les bénéficiaires de ce service, à savoir les journaux. Mais ce genre de dossiers se défend au couteau, car les techniciens de la Commission ont peu de patience avec les ignoramus des gouvernements. De plus, il faut s'attendre à ce que la DG concurrence compare la situation de l'AFP à celle des autres agences internationales, dont Reuters, qui est basé à Londres et qui, avec un chiffre d'affaire de l'ordre de 14 milliards de dollars (bien que ce chiffre soit celui du groupe Thompson Reuters et pas celui de l'agence seule), ne bénéficie a priori d'aucune faveur du gouvernement britannique.

Emmanuel Hogg a indiqué que l’AFP avait une position très précise sur le sujet de savoir si elle avait des activités de service public, et qu’évidemment cette position serait présentée à la Commission, mais qu’il ne pouvait pas nous faire part de son contenu. Mais, comme on dit en anglais «It’s anyone’s guess». Autrement dit, n’importe qui peut deviner... Mais sa défense comporte sans aucun doute le fait que l'AFP est la seule agence globale francophone.

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