Pierre Lescure tient entre ses mains l'avenir de la politique des industries culturelles. Aurélie Filippetti, la ministre de la Culture et de la Communication fera les choix en fin de course, mais sa marge de manoeuvre s'est rétrécie considérablement tant l'ancien patron de Canal Plus a su faire l'unanimité sur la manière de conduire sa tâche. (Publié le 3 décembre)
Pierre Lescure est le ministre de la Culture et de la Communication. Cette assertion peut choquer, pourtant dans les faits elle se vérifie sans difficulté. En désignant l’ancien patron emblématique de Canal Plus pour une mission au large périmètre sur la culture et le numérique, l'Acte II de l'exception culturelle, Aurélie Filippetti a fait de lui le véritable dépositaire d’une politique qu’elle n’a, pour sa part et bien qu'occupant la fonction officiellement, jamais incarné. Mieux, Aurélie Filippetti ne manque jamais une occasion de renvoyer les questions et les choix importants de son mandat aux conclusions de la mission Lescure - qui devraient être communiquées publiquement en mars prochain...
Ce parti pris de la rue de Valois n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd si l'on s'attarde sur les réactions de la filière musique comme de l'audiovisuel, si l’on en croit le défilé continu des représentants de tous les secteurs venus exprimer leurs doléances ou leurs préconisations devant la mission présidée par Pierre Lescure. Ce dernier tient parfaitement son rôle, au-delà des espérances et des apparences, pourrait on d'ailleurs remarqué. Après avoir donné quelques indications sur les directions à prendre - utilisant d'ailleurs aussi bien le "buzz" (les fameux échanges non marchands) pour installer sa légitimité, en l'absence de ligne directrice édictée clairement par le ministère - , son attitude est aujourd’hui parfaitement en phase avec ce que l’on est en droit d’attendre d’un président de commission, ou comme nous disions, d’un ministre de fait : discrétion, réflexion et écoute.
Cela tranche avec les déclarations parfois contradictoires d’Aurélie Filippetti, ou encore avec les hésitations de son ministère à propos du règlement de différents dossiers au moment de définir le budget de la rue de Valois, comme ce fut le cas avec le couac sur les 8 millions pour Hadopi, finalement revalorisé à la dernière minute pour atteindre 9 millions d'euros pour l'année 2013.
Obligations
Bref, Pierre Lescure sait être là où il faut et recueillir l’avis d’une filière musique qui n’avait pas été aussi bien considérée depuis bien longtemps. Ainsi, Laurent Petitgirard, Président du Conseil d’administration et Jean-Noël Tronc, Directeur général de la Sacem sont-ils venus s'exprimer. Ils ont fait plusieurs propositions devant la commission Lescure. En premier, il est indispensable, selon eux, de favoriser l’accès de tous à la culture en général et à la musique en particulier. La Sacem propose de «compléter l’article L321-9 du code de la propriété intellectuelle, issu de la loi de 1985 sur la copie privée, par un quatrième critère qui permette de mobiliser des ressources financées par le 25% de la copie privée pour des actions d’intérêt général dans le domaine de l’éducation artistique à l’école et vers les jeunes publics». Une bonne façon de garder la main sur ces fameux 25%. Plus fort, la Sacem voudrait que des obligations «d’investissement et des obligations de diffusion pour les émissions musicales» soient présentes sur toutes les chaines.
Enfin, la société civile souhaiterait un renforcement de la lutte contre le piratage, de la copie privée et que la fiscalité du numérique soit adaptée. Pierre Lescure a entendu. Comme il a entendu les recommandations et les demandes de l'Adami sur la gestion collective ou encore l'extension du principe de copie privée. Homme de télévision et grand connaisseur des arcanes du cinéma subventionné, il a aussi été attentif aux exposés des professionnels du septième art comme des demandes des sociétés de réalisateurs et de producteurs. Il prend conseil à droite et à gauche, on le sait proche de certains producteurs ou professionnels du spectacle vivant. Autant il fut bavard au début de sa mission, que maintenant c'est le silence. Un peu plus des deux tiers des auditions ont été réalisées.
Trois temps
Il n'est pas question ici de parier sur la succession d'Aurélie Filippetti. Finalement, une politique culturelle confiée à un cabinet compétent et omniprésent n'est pas une nécessité en république. Entre l'Elysée et la présence rassurante de David Kessler, la kyrielle de conseillers répartis entre Matignon et Bercy - il en manque encore un sur la radio, cependant - la création opportune de missions ou conseils, la dilution peut être une recette efficace... Si toutefois tous s'entendent pour avancer et éviter les tiraillements comme ce fut le cas entre l'économie numérique et la rue de Valois sur la TSTd.
Patrick Bloche a fait un tout autre pari. Le bouillant député de Paris, aujourd'hui président de la commission culture et éducation de l'Assemblée nationale a opté pour une stratégie en trois temps. En premier, conscient des contraintes de l'exécutif notamment en matière de parité, il n'a pas été disputer la place d'Aurélie Filippetti. Ce qui ne l'a pas empêché ensuite de trouver les mots pour rallier à lui les représentants de la filière lors d'une première discussion sur la copie privée, un dossier pourtant estampillé rue de Valois. Enfin, l'homme sait que le ministère de la culture est par nature menacé. Une fusion avec l'éducation sera sans doute encore discuté lors du prochain remaniement. La question restera alors entière de savoir ce que deviennent les industries créatives... Iront-elles enfin à Bercy ? Si la tentation apparait, il sera alors temps pour Patrick Bloche ou un autre de faire pencher la balance en sa faveur...