L'étau se resserre sur l'optimisation fiscale internationale de Google, mais aussi sur les politiques fiscales laxistes de certains pays d'Europe. Agir pour pousser Google à être respectueux des règles est fondamental, mais dans bien des cas, ce sont les dispositions fiscales elles-mêmes qui sont à blâmer, et avec elles, la naïveté des décideurs nationaux qui ont permis qu'un tel fiasco se produise. (Publié le 12 décembre)
De nouveaux chiffres publiés par Bloomberg montrent que Google a évité de payer environ 2 milliards de dollars de taxes sur ses revenus hors Etats-Unis en 2011, en transférant un montant record de 9,8 milliards de dollars à sa société écran déjà bien connue des Bermudes. C'est plus du double d'il y a trois ans. Ces chiffres sont tirés d'un dépôt de dossier de l'une des sociétés de Google aux Pays-Bas, par laquelle passent une grande partie des montants faisant l'objet du dispositif fiscal extrêmement optimisé de Google. Après avoir été rassemblés dans sa filiale irlandaise sans même être taxés dans les pays où ils sont réellement vendus, car Google se fait payer des frais pharaoniques par ses filiales, les revenus publicitaires européens sont dispatchés, en passant notamment par les Pays-Bas, pour finir dans les Bermudes, où il n'y a pas de taxe sur les sociétés.
30% aux US et 3,2% à l'international
Selon Bloomberg, qui se base sur les chiffres produits par Google aux Pays-Bas, le taux effectif de la taxe payée sur les revenus hors Etats-Unis du moteur de recherche est de 3,2%, autant dire rien en comparaison des taux normaux d'impôt sur les sociétés dans la plupart des pays où il opère. C'est d'ailleurs moins que la plupart des autres sociétés américaines : Apple, Microsoft, IBM et Oracle déclarent des taux entre 4,5% et 25,8% sur leurs revenus internationaux. Google est un champion.
Un taux de taxe de 3,2%, c'est également très peu en comparaison du taux effectif - 21% - déclaré par Google lui-même dans son rapport annuel 2011 sur ses revenus consolidés, qui sont constitués par 54% de revenus hors Etats-Unis et 46% de revenus sur le sol américain. En effectuant un calcul simple, on peut en déduire que la taxe effective payée par le moteur de recherche aux Etats-Unis est d'environ 33%, ce qui correspond à peu près au taux normal de Federal Corporate Tax, qui est de 35%.
Google bénéficie donc, et ce en grande partie grâce aux règlementations fiscales d'Etats tels que l'Irlande, le Luxembourg, ou les Pays-Bas, d'une différence de taux de plus de 30% à l'international par rapport à ce que taxent les Etats-Unis. Et si la société de Mountain View est l'une des meilleures à ce petit jeu de l'optimisation, on sait très bien qu'elle n'est pas la seule, et que de nombreux avocats spécialisés ont également aidé Starbucks, Apple ou Amazon à faire de même en toute légalité.
Le sacré Sacré Graal ridicule de l'emploi
La défense de Google, et de plusieurs autres sociétés dont dernièrement Starbucks Royaume-Uni, est et a toujours été qu'elle respecte toutes les règles dans tous les pays concernés et que ce n'est pas de sa faute si une telle optimisation fiscale est permise. On pourrait même aller jusqu'à dire que Google ne ferait pas son travail diligemment pour le bénéfice de ses actionnaires si elle n'utilisait pas tous les mécanismes d'optimisation fiscale disponibles. Et l'on aurait pas tort.
D'un autre côté, l'optimisation à outrance a pu avoir lieu, voire même a pu être encouragée par certains acteurs politiques locaux notamment en Europe, grâce à des raisonnements un tant soit peu "evil" de Google. Car il n'est pas difficile à des multinationales telles que la firme de Mountain View d'arriver en terrain conquis avec des promesses d'ouverture de sociétés, et de création d'emploi, et de mécénat, en mettant en concurrence différents pays d'une même région pour ses faveurs.
Et à n'y pas manquer, à chaque fois que Google rappelle qu'elle respecte les règles fiscales, elle répète également qu'elle a permis de créer des emplois et de soutenir la scène technologique, voire artistique, locale. C'est d'ailleurs ce qu'elle a fait quand le Royaume-Uni a commencé à regarder ses comptes de plus près, déclarant avec un brin d'arrogance que "nous employons plus de 2000 personnes au Royaume-Uni, et investissons des millions pour soutenir les sociétés technologique de l'Est de Londres". Sauf que le Royaume-uni représente pas moins de 11% du chiffre d'affaires de Google, soit 4,1 milliards de dollars en 2011 ! L'on conviendra que la création de deux mille emplois pour une telle somme, sur laquelle Google ne paie que 9,6 millions de dollars d'impôts (0,2% !), est ridicule au regard de la perte de revenus fiscaux.
Mais la pente est raide : tout comme il est difficile au web, en grande partie grâce (à cause ?) de Google de passer d'un modèle du tout-gratuit, voire du vol pur et simple, à un cercle plus vertueux où chaque acteur est récompensé pour son travail, il sera difficile aux Européens d'imposer de nouveaux modus vivendi à ces sociétés, pour l'essentiel américaines, qui paient dûment leur impôts comme de bons citoyens à l'Oncle Sam, et se comportent comme des profiteurs dès qu'ils traversent les frontières.