Secteur souvent méprisé par les politiques de tous poils, le jeu vidéo recevait aujourd’hui un premier geste de la ministre de l’Economie numérique qui rendait visite à Ubisoft pour y signer l’accord « Mango », collaboration entre le public et le privé. Mais l’industrie vidéoludique a encore de nombreuses exigences qui restent sans réponse.
Fleur Pellerin se rendait jeudi matin dans les locaux d’Ubisoft à Montreuil pour y signer la convention "Mango", un projet de recherche et développement destiné à mettre au point le nouveau moteur de jeu qui pourra convenir à la prochaine génération de consoles. C’est un évènement à marquer d’une pierre blanche puisqu’il s’agit d’un partenariat privé-public : une soixantaine de personnes y travailleront, issues en partie de chez le créateur d’Assassin’s Creed, de Rayman ou des Lapins Crétins, mais aussi du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), et du Laboratoire d'informatique en image et systèmes d'information (LIRIS) du CNRS/Université Claude Bernard Lyon. Le tout avec une aide financière de l’Etat qui pourrait atteindre jusqu’à 3.5 millions d’euros.
25 000 emplois
Pour l’univers du jeu vidéo, c’est un début de main tendue de la part d’un monde politique qui oscille habituellement entre la franche hostilité, le mépris à peine voilé ou l’indifférence la plus totale. Pourtant, l’industrie vidéoludique représente environ 5000 emplois directs et entre 15 000 et 20 000 emplois indirects en France, et le chiffre d’affaires des produits du secteur se monte à plus de 3 milliards d’euros annuels, dont 75% à l’exportation. D’autre part, les emplois sont en grande majorité des CDI et très bien rémunérés puisqu’il s’agit bien évidemment de postes qui demandent de très hautes qualifications.
Il ne s’agit plus d’un secteur de niche, touchant uniquement des passionnés qu’on se plaisait à imaginer adolescents et boutonneux, puisque 55% de la population joue, de manière plus ou moins régulière, aux jeux vidéo, quel que soit l’âge, le sexe, ou la catégorie socioprofessionnelle. On sait aussi qu’une exposition a eu lieu l’an passé au Grand Palais autour de cette culture, et que même le prestigieux Moma de New York a récemment acquis 14 jeux vidéo pour sa collection permanente. Ajoutez à cela une croissance à deux chiffres prévue pour les prochaines années, et il ne fait aucun doute que le jeu vidéo méritait enfin que les pouvoirs publics s’y intéressent de plus près, et cessent d’y voir une sous culture ou une sous industrie.
Made in France
Lors de leurs auditions par la mission Lescure sur l’Acte II de l’exception culturelle française, le SELL (Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs) et le SNJV (Syndicat national du Jeu Vidéo) ont pu avancer leurs doléances, assez peu entendues pour l’instant. L’une des principales demandes, que l’on retrouve chez ces deux syndicats, est celle d’une amélioration du crédit d’impôt spécifique à destination du secteur du jeu vidéo. Créé en 2008 en France pour stopper l’hémorragie après que le Canada a mis en place le sien au tout début des années 2000, ce dispositif présente plusieurs problèmes ou insuffisances. D’abord, son taux est bien moindre par rapport à celui proposé par le Canada (20% contre 35 à 37%). Si l’on ajoute à cela la multiplication des pays (Australie, Corée, Singapour, etc) s’étant alignés sur ce « dumping fiscal » en proposant des crédits d’impôts similaires à celui instauré par le Canada, et l’examen tout prochain d’un système approchant en Grande Bretagne, la France pourrait bien voir émousser son avantage actuel sur ce marché. Le SNVJ veut se montrer « agressif » et remonter le taux entre 30 et 35%.
D’autant que les critères retenus pour l’attribution de crédit d’impôts sont parfois bien farfelus, ce qui fait qu’à l’heure actuelle, moins de 30% de la production française en bénéficie. Parmi ces critères bizarroïdes signalés par le SNJV comme par le SELL : l’obligation pour les jeux vidéo d’être les adaptations d’une œuvre du patrimoine européen, une condition qui nie à cet industrie son statut porteur de créations originales. Autre hic : les films réservés aux 18 ans et plus selon le classement PEGI sont d’office exclus, alors qu’il devrait revenir à une commission du CNC d’examiner les jeux au cas par cas. Etrangeté encore : il n’est tenu aucun compte de la « jouabilité » (ou "gameplay" en bon français), mais plutôt de la narration, des critères improprement transposés du cinéma. Autant de conditions qui sèment d’embûches bien inutiles le parcours des acteurs souhaitant solliciter le soutient de l’Etat.
Au SNJV, on ironise sur ce ministre qui a défendu le Made in France « on aurait adoré qu’il présente aussi un jeu vidéo », comme Obama qui a très publiquement été acheter le dernier opus de la franchise Just Dance avant d’en chanter les louanges pendant 4 bonnes minutes. Mais à défaut d’être embrassés par Montebourg, les acteurs français du jeu vidéo aimeraient qu’on les accompagne mieux lorsqu’ils signalent une fraude, qu’on réfléchisse à l’adaptation du dispositif Sofica afin d’attirer les investissements privés ou encore que la rémunération pour copie privée leur soit en partie reversée. Etonnant quand on sait que, conviés à faire partie du collègue de la commission, ils avaient alors refusé. Le jeu vidéo est entré dans la cour des grands mais a encore du chemin à faire pour défendre ses intérêts s’il espère un jour les voir satisfaits.