Net Neutralité, la loi de 1986 rhabillée pour l’hiver 2014

Le Conseil national du Numérique a rendu son rapport sur la Net Neutralité à la ministre Fleur Pellerin ce matin au ministère du redressement productif. Voté à l'unanimité de ses membres, le document de 70 pages propose comme attendu de modifier la loi de 86 sur la communication.

Le contexte est particulier. Depuis de nombreuses années, des groupuscules militent en faveur de la reconnaissance d'une notion bâtarde, qui s'étend aux confins de l'économie des réseaux et de la liberté d'expression. Tantôt, cette "Net neutralité" est reconnue à l'égale de la liberté de la presse, ou des médias, comme un instrument préventif à la censure - pèle mêle alors on y retrouve les problématiques de filtrage comme de surveillance - , ou bien est-elle considérée comme principe élémentaire d'équivalence ou de transparence dans le domaine des infrastructures techniques.

Fallait-il alors une loi ? La question a été tranchée par le conseil national du numérique. Faudra t-il une nouvelle instance pour se charger de son application ? Le CSA pourrait faire l'affaire, mais l'Arcep voudra aussi son bout du gâteau... Le CNNum estime d'ailleurs qu'il faudra "mettre en place des indicateurs pour mesurer le niveau de neutralité des réseaux et des services ouverts au public, en collaboration avec les acteurs politiques, économiques, sociaux et les autorités de régulation, y compris au niveau européen". Une mission qui pourrait bien être taillée spécialement pour un champ élargi du CNNum.

La recommandation faite par les membres renouvelés de ce conseil est bien comme attendue de modifier la loi de 1986 qui régit la communication et les médias en France. Rien que ça ! Soucieux de ne pas proposer un catalogue à la Prévert des différents cas "d'exception" que pourrait engendrer une définition trop restrictive ou précise, le rapport se contente donc de rappeler les axiomes sans jamais inscrire, paradoxalement, l'expression "Net Neutralité" dans la loi. Ainsi le titre de la loi serait complété de cette manière, selon le CNNum, « loi relative à la liberté d'expression et de communication » et non pas seulement « loi relative à la liberté de communication». Une redite de la "liberté d'expression" qui vient donc combler une lacune, qui n'en est pas une réellement, car ce principe est de toutes les manières garanti par la constitution elle-même. Et le CNNum ne s'y trompe pas, conscient de cet effet de bord législatif, précisant donc à l'envie "l'enjeu d’une loi sur la communication et l'expression numériques relève d’une question industrielle tout autant que juridique et constitutionnelle".

Contentieux

Le texte de la loi s'en trouve aussi modifié si l'on suit l'avis du conseil national du numérique. Il est proposé que "au deuxième alinéa de l'article premier de la loi de 1986 en indiquant: La neutralité des réseaux de communication, des infrastructures et des services d’accès et de communication ouverts au public par voie électronique garantit l’accès à l’information et aux moyens d’expression à des conditions non-discriminatoires, équitables et transparentes ». Voilà qui dit toute la difficulté de cette recommandation. En introduisant dans la loi de 86 trois notions sensées décrire le principe - non discuté d'ailleurs, ni fondé autrement que dans la tautologie rabâchée par le CNNum - de la Net Neutralité, le CNNum ouvre la porte sans doute à bien des contentieux. Comment en effet penser que "équitables" ou "transparentes" vont être des concepts qui serviront autant les intérêts d'un Google ou d'un Free dans leur dispute sur l'acheminement des vidéos YouTube ? Ou encore, quel "spammeur" pourrait s'en saisir pour demander instamment que toutes les barrières soient levées ? Le CNNum estime d'ailleurs que son application revient au juge...

Cela dit, la vraie difficulté de cette recommandation n'est pas tant son contenu, qui pourrait par exemple ne pas être si bien reçu que cela par le Conseil Constitutionnel. Ce sera au gouvernement lors de la rédaction de la loi de solliciter le Conseil d'Etat. Si jamais cette loi voit le jour... Car si l'on peut légitimement imaginer que la ministre Fleur Pellerin qui est maintenant en possession de ce rapport sera ravie de porter une telle loi, une loi Net Neutralité qui lui devrait tout : l'agenda parlementaire est très encombré. Et il y a fort à parier qu'Aurélie Filippetti, installée rue de valois, ne fera pas de cadeau à celle qui fut sa rivale aussi lors de la campagne présidentielle.

Pour bien comprendre, il faut revenir à la guerre de positions qui se joue en ce moment entre l'Elysée, les députés de gauche et la rue de Valois. Nous révélions dernièrement les intentions des uns et des autres. Au mieux, cela déboucherait sur une loi "audiovisuelle" réduite au minimum - nomination des présidents du service public - avant les vacances puis une autre pas avant 2014 inspirée par le rapport Lescure. Et la Net Neutralité alors ? Paradoxalement, Fleur Pellerin pourrait venir au secours à sa collègue Aurélie Filippetti et réclamer elle aussi une grande loi "audiovisuelle" au plus tôt, dans laquelle serait discutée les sujets suivants. Dans les conditions actuelles, et l'urgence de la situation pour le gouvernement, il y a très peu de chance que cela arrive. Alors, il faudrait s'en remettre à un calendrier éloigné, disons pas avant l'année prochaine.

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