Spotify, Deezer, Netflix, ces trois entreprises ont le vent en poupe en ce moment, aussi bien dans l'industrie du divertissement que dans les médias. Les chiffres dévoilés recèlent pourtant une part d'ombre importante. Une sorte d'effet "indigène" qui fausse les interprétations. Nous révélons, pour plus de transparence et de clarté à ce débat, les vrais chiffres de Spotify et Deezer en France. (Publié le 13 mars)
Vous qui commencez à lire n’abandonnez pas tout espoir ! La vérité des chiffres est cruelle. La vague des services de streaming n’a pas l’ampleur suggérée par les chiffres semés à l’occasion des grandes messes. 6 millions pour Spotify ? 20 millions pour Netfilx ? Impressionnant, il est vrai, mais malheureusement l’image du «winner» ne résiste pas, avec le recul, à une analyse par territoire. Et sans dévoiler la suite de cet article, il apparait de plus en plus clairement, avec le temps, que ces services bénéficient surtout d’une prime dite de «l’indigène» qui fausse toutes les appréciations - un comportement qui est à double tranchant, car ces services semblent entravés en dehors de la mère patrie. La partie n’est pas terminée, et il est possible que ces produits réussissent à s'adapter aux marchés hors de leurs territoires natals, mais pour l’instant, le constat n’est pas à l’optimisme...
Avant de rentrer dans le vif du sujet, il convient de préciser qu'aucun des services de streaming de musique par abonnement ne divulgue publiquement les chiffres par zones géographiques ou ne ventile ces mêmes chiffres par offres. Pour autant, les chiffres que nous allons révéler sont au plus près de la réalité.
10% de la population
Honneur au premier de la classe : Spotify. Daniel Ek, le sympathique patron de cette société suédoise, a annoncé hier que le service avait atteint 6 millions d’abonnés. Un chiffre impressionnant, certes, mais qui cache une disparité par territoire considérable. Hélas, après plusieurs années de présence sur notre territoire, des milliers d’articles dans la presse, et une présence accrue grâce à l’accord noué avec Facebook, Spotify n’a séduit que 130 000 abonnés en France ! Un chiffre presque anecdotique, qui se compose de 115 000 abonnés à l’offre premium (9,99 euros) pour environ 15 000 à l’offre Unlimited tarifée 4,99 euros. Spotify enregistre une progression d’environ 10 000 à 15 0000 abonnés tous les trois mois depuis 2012 sur le territoire français. Cela n’a rien d’un raz de marée. Pour étayer ce constat, prenons l’audience du site et de l’application Spotify mesurée par Comscore. Elle n’a rien de transcendant : pendant l’année 2012, le nombre de visiteurs uniques passe de 990 000 à 1,4 million. Il n’y a pas de nette progression, mais bien une croissance régulière. L’utilisation de l’application est encore plus décevante pour les zélotes de Spotify : elle varie entre 290 000 et 546 000 uniques tout au long de l’année, sans que l’on puisse dire qu’il y ait progression. Au contraire, son audience est de 526 000 utilisateurs en janvier 2012, puis de 353 000 en octobre 2012. Que dire ? Est ce que plus de 100 000 abonnés n’ont plus utilisé leur application fin 2012 ? A près de 10 euros par mois, ça fait cher et pose véritablement la question de la valeur de ce service...
En Suède, mais aussi en Finlande et en Norvège, Spotify cartonne. C’est indéniable. Il y a plus d’un million de suédois qui ont souscrit un abonnement... Mieux, Spotify a pénétré 10% de la population ! Si l’on considère toute la Scandinavie, le chiffre total d’abonnés à Spotify frôle les deux millions ! Ajoutez à cela le million et demi américain, il ne reste plus grand chose. Le reste des pays dans lequel est présent Spotify se partage 2,5 millions d’abonnés, et on sait déjà qu’un pays aussi développé que la France ne compte pas pour grand chose. Spotify est aujourd’hui présent dans 20 pays.
80 000 à 4,99 euros
Serait-ce à cause de Deezer que Spotify patine ainsi au pays de Johnny ? Etudions alors les performances de Deezer ! Là encore, c’est la soupe à la grimace. Le champion français cumule aujourd’hui des atouts indéniables : puissance commerciale avec l’accord Orange, soutien du gouvernement qui ne manque jamais de mettre en avant l’offre, et là encore une couverture médiatique importante, pour ces mêmes raisons. Alors ? Combien ? Et bien, en dehors des chiffres Orange, Deezer a séduit cahin-caha... 117 000 abonnés sur l'offre à 9,99 euros et 80 000 sur celle à 4,99 euros ! Il y en aurait 200 000 autres via le bundle Orange. Les performances sont moyennes pour le champion français, mais celui-ci se rattrape sur le gratuit, effet indigène oblige : l’audience du site en France est élevée avec une moyenne de 6,2 millions d’internautes par mois sur l’année 2012. Cela dit, l’audience ne progresse pas. Le site a commencé l’année avec une audience inférieure à celle d’y a un an (5,8 millions contre 6,2 millions en janvier 2012).
Le raisonnement tient également pour Netflix, à qui les spécificités du marché américain ont permis d’engranger une belle manne d’abonnements, mais qui peine à trouver la bonne carburation en dehors de son territoire. L’effet «indigène» a encore frappé. Comment en effet venir concurrencer, en France, au Royaume Uni, en Allemagne, etc., une offre de télévision largement diversifiée, faisant une place importante aux oeuvres de catalogue, avec un prix facial bas, voire très bas. Aux Etats-Unis, cette offre bon marché des câblo-opérateurs n’existait pas, ou peu. Netflix avait toute latitude pour court-circuiter les barons du câble locaux en passant par le trou du Net, avec un abonnement à faible prix... Bien plus compliqué de renouveler ce coup de maître sur d’autres territoires qui n’ont pas ce passif.
Y a-t-il pour ces entreprises des passerelles leurs permettant de trouver les bons réglages en dehors de leurs territoires «indigènes» ? Netflix l’a compris en se lançant dans la coproduction de séries TV originales. Cela ne se fait pas sans risque, car Netflix doit alors aller chercher de l’argent sur le marché pour financer son expansion mais aussi ces contenus différenciants. Pour le marché de la musique, Deezer et Spotify font de même, multipliant les partenariats et en enchaînant les levées de fonds. L’argent serait donc le remède de ces métissages industriels avortés.