Internet mytheux (épisode 1)

Il y a des mythes nés avec l'Internet. Amusons-nous à les détruire.

Nous avions déjà entamé un exercice rétrospectif et critique sur ce qu'est Internet. Aussi surprenant que cela puisse paraître, le terme nouveau ou innovant ne peut pas être employé tel qu'on pourrait l'imaginer, comme la définition d'une terre fertile à nulle autre pareille, mais bien avec l'amertume d'un retour en arrière, ou d'une re-visitation de l'ancien. Clairement, pourrions-nous alors parler de révolution, qui comme toutes les révolutions porte en son sein une réaction motrice...

Alors que l'être suprême a fini enterré dans l'oubli de l'Histoire - qui se souvient de cette déclaration de l'Assemblée libre et constituante de 1793 -, il en va de même pour l'Internet et sa révolution par le bit. A nous donc de dévoiler les fausses idoles, et de notre marteau d'en faire résonner les failles.

Internet est plein comme un oeuf de ces mythes surgis dès sa création, nimbé de la joie de l'inédit. Et comme tous les mythes, alors que le réel les dément sans discontinuer, leurs apôtres ont choisi comme défense d'en appeler à l'"essence" même, en tant qu'il est Internet. Une chose posée et parfaite à sa création - pourrait-on parler de naissance. Ainsi, il n'est pas rare de voir désigner sur le réseau des réseaux des pères fondateurs et des gourous, ceux qui viennent directement après pour l'exégèse, dont la parole est indépassable et les conseils toujours avisés. Que ce dernier point soit vrai ou non, peu importe, leur statut est là.

Fanzine

Premier mythe donc, Internet n'est pas ce qu'on ne comprend pas totalement, une série d'interactions électroniques ou une organisation du savoir, pas du tout, Internet est aujourd'hui un média. Il n'a pas forcément été construit avec cette visée, mais la réalité actuelle force bien à le reconnaitre, Internet est aussi une grosse télévision, une hyper-télé pour tout dire, qui diffuse à longueur de journée. Une réalité incarnée dans les chiffres. Les plus gros sites de par leur audience sont des plateformes légales ou illégales : YouTube et consorts. Et les plateformes qui les soutiennent, comme le réseau social Facebook, participent à cette immense émission non stop. Ironie de l'histoire, le streaming est devenu en quelques mois l'axe central d'une partie du développement du réseau. Et ceci, sans distinction faite entre les contenus diffusés légalement ou non.

Plus étonnant, l'émergence d'un couple "émetteur-récepteur" au niveau de l'individu n'est jamais apparu. Comme le montrent les différentes études sur YouTube, pour ne prendre que le plus connu, mais aussi le géant qui donne ainsi le "la" à tout ce marché, les contenus "UGC" (user generated content) n'ont plus la faveur des consommateurs. Les contenus "officiels", ou simplement reconnus comme tel par les internautes, sont largement devant.

Ce rapport vertical, le même que celui qu'entretient TF1 avec la ménagère de moins de cinquante ans, se retrouve aussi dans les arcanes de la presse en ligne. Le blog ? quel blog ? Voilà, la réalité d'une véritable pulvérisation de l'ego et de la parole, comme autant de fanzines... La presse en ligne s'est accommodée de cette mode pour célébrer ses propres valeurs actuelles sûres. Et on voit alors ce piteux spectacle des sites du "clic" se disputer la nouvelle chair à canons, ces blogueurs que l'on dit star, et qui d'ailleurs ont perdu bien vite cette appellation, pour devenir des "contributeurs". Pas besoin d'en nommer, ils se reconnaîtront bien tout seuls. Il n'est nul besoin de critiquer leur travail, car ils le font très bien pour la plupart...

Données psychologiques

La vidéo, la musique, l'information ne sont pas à tous et par tous sur le Web, pas plus qu'avant; les échelles ont bien été re-dimensionnées. S'il y a un progrès dans tout cela, il vient peut-être avec la certitude d'un renouvellement. TF1 n'est plus l'argument massue de l'audiovisuel dans l'Hexagone. Tout Internet est un argument d'opposition à la chaîne du groupe Bouygues. Comme il est une contradiction portée à toutes les autres chaînes, et à lui-même, en tant que média.

Que faire alors des nouveaux modèles ? Que dire de la recommandations inondant les petits génies comme Spotify, Netflix, Deezer ou encore même Amazon ? Est ce cela le moteur ? La data. Ce pétrole de l'ère numérique. Et bien, il semble que non. Le pétrole est le contenu, pas la data. L'industrialisation du Net s'est faite sur l'exploitation gratuite de ce qui était avant rare et cher à distribuer en masse. La dématérialisation de la musique ou d'un film a essentiellement servi à lui faire passer les frontières, pour le plus grand bonheur de ceux qui tissent ces toiles d'un continent à l'autre : l'opérateur de télécommunications. Le P2P, qui fut un protocole très couramment utilisé vers la fin des années 2005, a été largement insuffisant. Il a permis de montrer qu'il était possible de penser la distribution de biens dématérialisés, mais sans en comprendre les aspects plus "psychologiques".

Echanger n'est pas suffisant. L'internaute voulait plus. Il voulait retrouver sur le virtuel la confiance d'un regard apaisant, la proximité d'une échoppe. L'aventure oui, mais au coin de la rue, là précisément où il va trouver une épicerie. Pour en arriver à cela, il a fallu mettre à bas plus d'un mythe de l'Internet - on ne fait pas confiance à son voisin, pourquoi ce serait le cas sur le Net avec des étrangers qui partagent le même protocole ? Le plus parfait exemple est bien entendu iTunes Stores. Véritable brontosaure encore ignare du 2.0, sans pratiquement aucune dimension "sociale" - à la limite quelques commentaires mal mis en avant -, et quelques passerelles vers Twitter ou Facebook, le magasin en ligne d'Apple a mis tout le monde d'accord... Du moins si l'on parle gros sous. Amazon a aussi réussi ce difficile pari de ne pas se laisser bercer par les sirènes de l'"essentialiNet". Là encore, la grande différence avec le commerce à la papa, fut l'abolition des problèmes de transport et la circulation des marchandises. Le reste, c'est un peu de crème sur le gâteau et une cerise pour amuser la galerie. Le gros de l'activité est porté par un formidable développement des moyens de transport et l'ouverture d'un réseau aux quatre coins de la planète. Amazon comme Apple n'ont fait qu'appliquer les préceptes de leurs glorieux aînés, Coco-Cola, Ford, Levi Strauss, etc. Mais ce chapitre ne serait pas complet sans évoquer le plus parfait exemple, et il nous vient de France : Leboncoin. Un site d'une rudesse, pour ne pas dire plus, qui le dispute à une certaine laideur, sans parler des quelques mises à jour apportées au compte goutte... Et pourtant, Leboncoin fait de l'ombre sur le Web à tout ce que la France du CAC 40 et des génies du Net a pu inventer.

Si l'on cesse de vouloir démontrer une théorie résolument "inédite", le Net tel qu'il s'est construit apparaît alors tout à fait différemment, et surtout bien moins dégagé des contingences du "vieux monde", ou refermé sur lui-même.

- Lire l'épisode 2

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *