Les mauvais comptes de l’AFP version Emmanuel Hoog

Les comptes de l'AFP sont dans le rouge. En nous basant sur le rapport du cabinet Sextant et des informations en interne sur la situation actuelle, voici le portrait d'une agence de presse au bord de la rupture... à 24 heures de la très probable réélection d'Emmanuel Hoog au poste de président. (Publié le 3 avril)

La reconduction d'Emmanuel Hoog à la présidence de l'AFP serait déjà actée. A l'Elysée on ne fait pas de secret sur l'avance du sortant sur ses concurrents Pierre Feuilly, en tête, et Patrick Brosselin. Mi avril, le conseil d'administration de l'agence se réunira donc pour entériner l'inéluctable... A moins que. A moins que tout à coup une prise de conscience brutale n'intervienne sur l'état réel des comptes de l'AFP, et la responsabilité logique de la présidence dans cette affaire. Pierre Feuilly compte sur cet électrochoc, et les syndicats en interne ont déjà sorti les pétoires. Demain, la CGT SGLCE est en grève... Et demain le Conseil d'administration se réunit pour élire le nouveau président. Le conseil d'administration est composé de sept représentants de la presse française, deux de l'audiovisuel public et trois de l'Etat. Traditionnellement, les deux représentants des personnels s'abstiennent...

Pour planter le décor voici un tableau de synthèse du cabinet Sextant sur la situation "réelle" des recettes et des coûts de l'AFP :

L'AFP est au bord du gouffre. Cela ressemble à une litanie, mais comme pour beaucoup de médias aujourd'hui, il est sûr qu'un jour le navire va sombrer d'un coup, brutalement. Nous avons pu réunir les pièces qui montrent combien la situation financière de l'agence est inquiétante. Il s'agit en premier lieu du fameux rapport "Sextant" commandé par le comité d'entreprise, mais aussi des différents travaux de la commission économique du CE. Le niveau de la trésorerie est au plus bas. Toutes les options devraient rapidement être sur la table, la direction ne peut l'ignorer.

59 millions d'euros de dette

Les rumeurs vont bon train dans les couloirs de l'agence. Pourquoi la direction nie t-elle la situation financière ? Est-ce que la solution miracle préconisée par Emmanuel Hoog lors de son second mandat sera de réduire la voilure de façon spectaculaire, un peu comme au milieu des années 80, avec à la clef des fermetures de bureaux à l'étranger ou en province, une réorganisation musclée, et pourquoi pas des départs, peut-être même un plan social. Rien n'est exclu. L'objectif est de remettre la trésorerie à flot, ce qui ne sera pas tâche aisée. En effet, selon les dernières perspectives, celle-ci est à zéro ! Le président manie lui la novlangue lui préférant le vocable suivant "la trésorerie de l'AFP est tendue mais maîtrisée". Ce qui ne rassure évidemment pas les représentants des syndicats et des personnels comme des journalistes de la société.

La situation est la suivante : la dette de la société prend une ampleur jamais vue, et grossit à vue d'oeil. A la fin 2012, les prévisions étaient d'un peu plus de 35 millions d'euros, avec un trésorerie excédentaire d'un peu moins de 10 millions d'euros, comme le montre ce graphique concocté à l'issu du CE de novembre :

Ces niveaux seraient largement enfoncés aujourd'hui. Les toutes dernières évaluations donnent une dette à près de 60 millions d'euros ! Celle-ci se décompose en trois postes : un prêt d'Etat de 20 millions d'euros contracté il y a un an, et qui bénéficie d'un taux d'intérêt standard; l'hypothèque sur le siège de l'AFP qui s'élève à 20 millions d'euros et dont l'échéance de remboursement a été repoussée à 2014; enfin un prêt bancaire sur la négociation des intérêts de découvert à hauteur de 18,3 millions d'euros (l'AFP a payé 77 000 euros par mois d'intérêt à sa banque selon le rapport Sextant) - ce dernier pourrait être relever à 30 millions d'euros après l'élection !

Rallonge de l'Etat

Dans ces conditions, les charges dues à l'URSSAF n'ont pas été payées depuis le début d'année, ni la CSG. Et les salaires des collaborateurs de l'AFP, soit 5 millions d'euros par mois, viennent alourdir le découvert. Cependant, tout n'est pas de la responsabilité de la direction. Ainsi, l'Etat, l'un des premiers clients de l'AFP (41% des recettes actuelles, elles étaient de 70% il y a 40 ans), n'a pas effacé toutes ses créances. Suivant la ligne d'économie budgétaire décidée à la prise de fonction de François Hollande, l'Etat n'a versé que 21 millions d'euros au premier trimestre sur les 30 millions du total. Emmanuel Hoog a obtenu une rallonge de 8 millions, il reste donc toujours un million en souffrance, et rien n'est parait-il réglé pour les mois suivants. Mais le président annonce "une refondation de la relation avec l'Etat"...

Qu'est ce qui a précipité ainsi les comptes de la société dans le rouge ? En premier lieu les travaux entamés dans les locaux même de l'agence. La crise aussi bien sûr, et un certain manque d'adaptation de l'agence aux mutations actuelles. Ainsi, la semaine dernière Emmanuel Hoog a tenté de rencontrer les patrons de Google pour renouer l'accord devenu caduque depuis plusieurs mois. Sans succès, semble t-il.

La rénovation des immeubles va coûter 20 millions d'euros au total, selon les chiffres officiels. De plus la mise à niveau du système informatique (Iris) a coûté jusqu'à présent 30 millions d'euros - 40 millions d'euros avec les charges internes, estime le cabinet Sextant. Ajoutons aussi les frais pour "un nouveau logo" de l'AFP dénoncé par FO! Tout cela ressemble à des investissements pour l'avenir, et cela serait certainement le signe d'une bonne gestion si les perspectives de croissance n'étaient si maigres. Crise oblige encore une fois...

Ainsi, toujours selon le cabinet Sextant, le chiffre d'affaires en France réalisé par l'AFP est nettement à la baisse comme le prouve ce graphique :

Et cette baisse des recettes touche essentiellement le service général de l'AFP, tandis que la photo progresse et la vidéo également, mais pas dans les proportions attendues, note le cabinet Sextant.

Côté personnel, le rapport Sextant note que si la catégorie de personnel qui progresse le plus est bien "les journalistes", mais le cabinet ajoute que "le modèle RH de l'Agence France Presse repose sur un socle massif de contrats précaires. 9 CDD sur 10 sont signés par des journalistes", et cela sans compter les pigistes "et donc un nombre d'autant plus important de contrats précaires", souligne Sextant. Les embauches se sont faites surtout au pôle Web et mobile, mais aussi à la rédaction en chef.

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