Newsmodo, la nouvelle Bourse aux médias

Largement précarisés par la crise transformative qu’ils traversent, médias et journalistes se creusent la tête pour proposer des innovations en termes de sujets, de supports ou d’accessibilité. Rakhal Ebeli, lui-même ancien reporter, propose désormais de les aider à se rencontrer.

Prenez quelques gouttes d’agence de presse, une pincée de LinkedIn, un soupçon de Meetic, secouez le tout à la cadence de la Bourse, et vous obtiendrez Newsmodo, plateforme inédite permettant de mettre en vente, de commander ou d’acheter des contenus journalistiques à travers le monde. A l’origine du projet, Rakhal Ebeli, reporter pendant 10 ans pour une des principales chaînes nationales australiennes.

Journalisme vs citoyens

Tout a commencé en 2011, quand Ebeli a réalisé qu’on le sollicitait de plus en plus pour faire le tri dans des vidéos fournies par des citoyens, et qu’il devenait une sorte d’agent de change, interface entre ces reporters improvisés et les médias à proprement parler. Il développe donc un premier site et une application mobile sous le nom de NewsMe, supposée mettre en avant ce fameux « journalisme citoyen ». Mais bien vite, les médias réalisent que la masse d’information à trier est énorme, et qu’on ne trouve finalement que peu de pépites au milieu du déluge de contenus inintéressants. NewsMe rencontre donc ce qu’Ebeli euphémise en « modeste succès ». Mais l’expérience n’aura pas été vaine, puisqu’il reçoit de nombreux retours qui l’orientent vers l’idée d’une plateforme similaire, qui ne proposerait cette fois que des contenus réalisés par des professionnels.

Lourd investissement

Mi-2012, Rakhal Ebeli convainc alors Larry Kestelman, serial investisseur australien et gros bonnet des télécoms, d’investir dans son projet, rebaptisé NewsModo. S’il refuse de communiquer la somme exacte qui a été récoltée, Ebeli ne cache pas que le développement aura été long (environ 9 mois) et "pas bon marché, on n’a pas cherché à faire des économies de bout de ficelle". D’ailleurs, après le développement d’une beta, testée en Australie et en Asie en mars dernier, des modifications sont à nouveau apportées, et ce afin de coller le mieux possible aux besoins et attente des journalistes comme des médias. Pendant tout ce temps, une équipe de 15 personnes travaille à temps complet sur le projet, autant sur le développement web que sur celui de l’aspect business, la gestion de la clientèle –un live chat d’aide est ouvert 24 heures sur 24- ou encore le design.

Londres-Paris-New York

Rakhab Ebeli en profite pour discuter avec des syndicats de journalistes en Australie, en Asie et à l’international, afin de vérifier que les professionnels sur le terrain y trouveront, eux-aussi, leur compte. Les aspects légaux sont également scrutés, pour que journalistes comme médias puissent vendre et acheter des contenus dans des cadres de licence appropriés. Avec quelque 4000 contributeurs inscrits (dont la moitié sont actifs sur la plateforme) et près de 80 médias qui testent à l’heure actuelle la version d’essai gratuite pour 30 jours, NewsModo passe la seconde et Rakhal Ebeli s’est rendu à Londres la semaine dernière avant de faire escale à Paris ces jours-ci, puis de décoller pour New-York la semaine prochaine, trois grandes villes où il pense trouver l’essentiel de ses futurs clients.

 

Commandes et Marketplace

Concrètement, NewsModo propose différentes entrées. Les médias, potentiels acheteurs, peuvent se procurer, sur le « Marketplace » des contenus mis en ligne par les journalistes, qui définissent eux-mêmes le prix qu’ils souhaitent en tirer (il y en a actuellement 189 en ligne). Mais ils peuvent aussi passer commande sur des contenus spécifiques grâce à la partie « Assignments » (ils ne sont que 2 en ligne et publics pour le moment). Tout cela est accessible avec la formule basique, qui coûte environ 40€ par mois, sachant que la plateforme prend également 10% sur chaque paiement, qui seront déboursés en sus par le média acquéreur et non pas déduits de la somme versée au journaliste. Pour 400€ par mois, dans le « corporate package » les médias pourront également passer des commandes en privé et accéder aux informations détaillées sur l’historique de travail des journalistes. Un pack « enterprise » est aussi prévu pour les plus gros clients qui se verront donc offrir l’accès au site moyennant un certain volume d’achats mensuels de contenus.

Protection des journalistes

Côté journalistes, les mêmes onglets « Assignments » et « Marketplace » sont disponibles, il est donc possible, d’un coup d’œil de voir, par exemple, si un sujet que l’on voulait traiter ou proposer a déjà été mis en ligne, ou si l’une des commandes passées correspond à sa localisation et à ses compétences. Et pour éviter que 30 reporters ne parte sur le terrain et qu’un seul ne soit finalement rémunéré, un processus de validation en deux temps a été instauré pour les commandes : les journalistes offrent leur service au média demandeur, qui doit ensuite choisir le ou lesquels il décide d’envoyer, avec un paiement à l’avance. Les journalistes peuvent bien entendu mettre en ligne leurs contenus, qu’il s’agisse de photographies, de textes ou de vidéo (le tout avec une vitesse d'upload supérieur à celle de serveurs ftp classiques). A l’origine, une option « bundle » était disponible, qui permettait par exemple de vendre un pack avec un texte et plusieurs photos, mais les médias se sont montrés récalcitrants, et chaque contenu est donc désormais vendu séparément.

 Partenaire particulier

NewsModo a déjà été en contact ou rencontré quelques-uns des plus prestigieux médias comme le New York Times, la BBC, le Guardian, Axel Springer, Zeit, le groupe Hearst Media et en France Le Monde, Le Parisien, Libération, le Groupe Hersant Media, Canal +. Mais ce n’est pas tout, puisque Rakhal Ebeli a aussi entamé des discussions avec l’Associated Press… Un futur concurrent ? Pas sûr, il se pourrait bien que l’agence devienne cliente, voire partenaire de NewsModo, qui souhaite se différencier des Reuters et autres AFP et non pas « les renverser… pour le moment » précise Ebeli. Il estime que le contenu proposé sur le site sera principalement « unique », même si les différentes options de mise en vente ouvrent aux journalistes de vendre à bas coût des contenus à plusieurs médias. La différence pour les rédactions est essentiellement dans l’achat à la pièce, qui permet de satisfaire ses besoins sans dépenser les sommes faramineuses demandées par les grandes agences pour du « bundle » de contenus dont la plus grande partie ne sera jamais utilisée. Evidemment, l’économie se situe aussi dans le fait de solliciter des reporters en fonction de leur localisation, en évitant donc de payer le voyage et l’hébergement à l’un de ses journalistes.

A l’heure ou l’AFP peine à équilibrer ses comptes en dépit de la béquille de l’état et où de nombreux journalistes prennent la porte d’organisations ayant trop tardé à engager leur passage dans le monde de demain qui date déjà d’avant-hier, NewsModo pourrait bien proposer un modèle alternatif viable pour les médias comme pour les reporters… et sonner le glas des grandes agences. Un bémol demeure : qu'advient-il des droits des journalistes, par exemple, en France, pour le chômage ou la sécurité sociale, si les articles sont payés par un média américain? La plateforme ne tente-t-elle pas d'en faire, à leur insu et sans les accompagner des entrepreneurs une fois de plus précarisés? Des problèmes légaux et sociaux pourraient bien apparaître si le modèle NewsModo se propage...

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