Audiovisuel : la « grande » loi Filippetti

Tandis que son mandat était jusqu’alors marqué par les restrictions budgétaires et ponctué de quelques coups réussis, Aurélie Filippetti aura désormais sa loi sur l’indépendance de l’audiovisuel public pour inscrire sa tenue du ministère dans les annales…

La tenante de la rue de Valois avait prévenu, dans Le Parisien de mercredi : « on veut en finir avec Radio Sarko et la Télé Elysée » ! Elle présentait le jour même devant l’Assemblée Nationale son projet de loi sur l’indépendance de l’audiovisuel public. Il prévoit notamment que les patrons des grands groupes comme France Télévisions ou Radio France ne seront plus nommés par le président de la République, mais par celui du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (et qu’importe si ce dernier est nommé… par le chef de l’Etat). La fin d’un système façon ORTF, donc, et l’émergence, si l’on en croit Aurélie Filippetti, d’une gestion plus indépendante de ces services. Voté dans la nuit, le texte devra encore passer devant le Sénat pour être définitivement adopté (à moins que les occupants du Palais du Luxembourg n’aient des modifications à apporter, auquel cas, une nouvelle navette parlementaire sera nécessaire ».

Le changement, c’est (pas) maintenant

Dans le détail, en ce qui concerne les membres du CSA, dont seul le « patron » sera désormais nommé par le président de la République (contre 3 membres précédemment), ils ne seront plus que 7 sages. Ses six consiglieri seront en revanche nommés par les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale comme avant mais ces derniers auront à choisir parmi des candidats qui devront avoir récolté une majorité aux trois cinquièmes des commissions des affaires culturelles de ces deux chambres. Il faudra donc que ces « nominables » parviennent à faire le consensus entre opposition et majorité qui siègent dans ces commissions.

Le changement, c’est maintenant ? Et bien pas tout à fait. Le mandat de Rémy Pflimlin à la tête de France Télévisions court jusqu’à 2015, celui de Jean-Luc Hees à Radio France jusqu’en 2014 et le gouvernement a tout intérêt à ne pas y mettre fin avant la date prévue, sous peine d’être taxé d’ORTFisme. Aurélie Filippetti l’avait d’ailleurs juré « on n’est pas là pour couper des têtes ». Ils devraient donc rester en place jusqu’à nouvel ordre, même si la loi votée dans la nuit de mercredi à jeudi permet au CSA, s’il a l’unanimité, de les révoquer. Leurs remplaçants seront nommés pour cinq ans par Olivier Schrameck, désigné en début d’année pour présider le CSA et qu’on peut difficilement accuser d’être un dangereux droitiste, puisqu’il fut un temps directeur de cabinet de Lionel Jospin. Autant dire qu’on est encore loin d’une gouvernance complètement apolitique des grands services d’audiovisuel public.

Quant aux membres du CSA, les premiers à partir sont Emmanuel Gabla, Christine Kelly et Françoise Laborde, qui quitteront leurs fonctions de la Tour Mirabeau en janvier 2015. Au final, il faudra même attendre janvier 2019 pour que le collège soit entièrement renouvelé.

Indépendance j’écris ton nom

Seule ombre au tableau si joliment peint par la ministre Filippetti : l’indépendance ne tient pas qu’à la tête du patron. Autrement dit, pour pouvoir développer sereinement des projets nouveaux et des stratégies ambitieuses hors de tout contrôle excessif du gouvernement, l’audiovisuel public a besoin d’argent. Or il est de plus en plus démuni, poussé à quémander des subventions dont on ne peut qu’imaginer qu’elles sont possiblement soumises à condition. C’est notamment le cas de France Télévisions, un groupe complètement sinistré par l’arrête de la publicité après 20 heures et qui aura tout juste gagné, lors du vote de la loi, l’assurance que les annonces pendant la journée n’étaient pas menacées… pour l’instant. Reste que la révision du Contrat d’Objectifs et Moyens du groupe lui impose des exigences financières quasi intenables (surtout quand on sait que son budget va être rogné de 2% les prochaines années). On note toutefois, concernant le pouvoir de régulation économique du CSA, qu’un amendement a été voté qui permet à l’instance de différer le lancement d’un appel à candidatures pour l’attribution de fréquences radio lorsqu’une étude d’impact ou une consultation publique aura démontré que la situation économique du marché n’était pas favorable.

Autre nouveau pouvoir confié aux sages de la Tour Mirabeau par le biais d’un amendement porté par Patrick Bloche : la possibilité d'autoriser le passage d’une chaîne de TNT de la diffusion payante à la diffusion gratuite, et inversement. Une aubaine pour LCI par exemple, qui se mord les doigts depuis des années de n’avoir pas demandé un canal de TNT, puisqu’elle fait face à une concurrence asymétrique de la part de BFMTV et iTélé (le premier étant d’ailleurs dans une santé financière presque insolente quand on connaît les difficultés de la chaîne info de TF1). D’ailleurs les tenants de l’info en continu sur la TNT à l’heure actuelle ne s’y sont pas trompés, puisqu’Alain Weill, patron de BFMTV s’est insurgé du vote de cet amendement « il n'y a pas la place pour trois chaînes d'information […]C'est mauvais pour le pluralisme, contrairement à ce qu'on nous dit. »

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