François Missonnier, Rock en Seine, « on a atteint un seuil de saturation »

François Missonnier, organisateur de Rock en Seine, analyse le secteur du spectacle vivant qui s’est lui aussi, comme la musique enregistrée, profondément métamorphosé ces dernières années. François Missonnier reconnait avoir de bonnes relations avec la rue de Valois mais se déclare déçu par l'abandon prématuré du centre national de la musique.

EL : Avez-vous ressenti les effets de la crise du disque dans l’organisation du festival, par exemple avec des demandes de cachets en hausse pour compenser les pertes dans la musique enregistrée ?

- FM : C’est devenu très connu et admis que les cachets ont augmenté de manière très importante ces dix dernières années. Mais notre rôle est de faire en sorte que ça reste dans la limite du raisonnable, c’est à dire que ces exigences ne mettent pas en péril l’économie du festival. C’est d’ailleurs comme ça que se font les arbitrages, et les discussions peuvent être longues. En général on arrive à trouver un terrain d’entente car on a créé un rendez-vous où les grands artistes internationaux ont envie de se produire.

EL : Il y a de plus en plus de festivals en France (la Sacem en relevait plus de 840 en 2011, dont 65 en région parisienne), décelez-vous une concurrence accrue pour l’obtention des subventions et pour le public ?

- FM : En région parisienne, nous ne sommes que deux gros festivals de plein air de musiques actuelles, avec Solidays, les autres s’adressent plus à des niches ou se produisent dans des salles. Avec Solidays, il n’y a pas de concurrence, puisque nous sommes sur des moments différents (eux au début de l’été et nous à la fin) et nos projets artistiques ne sont pas les mêmes. Mais si un autre grand acteur devait voir le jour, ça deviendrait très problématique. Au niveau national, je pense que chaque région a désormais accru son attractivité avec des événements forts. On a rattrapé notre retard sur nos voisins belges, allemands ou anglais en termes de "culture festivalière". On arrive à un niveau où la France a suffisamment de festivals, et ils cohabitent dans des relations extrêmement saines, on est tous dans la même barque, c’est une concurrence vertueuse puisque la découverte d’un festival encourage à en voir d’autres. Mais j’ai le sentiment qu’on a atteint un seuil de saturation au-delà duquel on sera dans la stricte concurrence, oui.

 "Nous sommes à l'équilibre depuis 2010"

EL : Comment s’articule l’organisation du festival, s’agit-il d’une association, d’une entreprise ?

- FM : C’est les deux, en fait ! Il y a une association loi 1901 qui est en charge de porter le projet sur le plan culturel, et qui discute notamment avec la région Ile de France et transforme le domaine de Saint-Cloud. Et puis il y a une société qui prend en charge le risque financier, s’occupe de booker les artistes, de mettre en vente la billetterie, d’assurer la communication sur le festival, d’assurer les pertes s’il y en a ou d’encaisser les bénéfices s’il y en a. Six personnes travaillent à l’année pour ces deux structures.

EL : Dégagez-vous des bénéfices ? Où en êtes-vous financièrement ?

- FM : En 2012 (et depuis 2010) nous sommes à l’équilibre. Cette année le budget est de 6,5 ou 7 millions d’euros, dont un bon tiers sert à payer les cachets des artistes, un autre petit tiers à l’aménagement du site et l’accueil du public [environ 200 bénévoles et 800 professionnels travaillent sur le site pendant l’exploitation, ndlr] et les 30% restants couvrent les taxes, frais de fonctionnement, la communication ou les assurances. Mais cette année on a appris fin janvier que le département des Hauts de Seine stoppait son soutien alors qu’on est le premier événement en termes de spectateurs. Cela représente 265 000 euros en moins sur les subventions, qui se montent habituellement à 1 million d’euro. Il nous reste la région Ile de France, qui maintient son soutien exceptionnel accordé en 2012 pour nos 10 ans, soit 650 000 euros, et on a une petite aide la ville de Saint-Cloud. C’est nous qui allons compenser la perte, on a donc fait très attention sur les dépenses, mais il est certain qu’avec des subventions entre 8 et 10%, le niveau de risque est plus élevé. Si la situation perdure, il est possible que nous envisagions de revoir à la hausse le tarif des billets.

Nous avons aussi des partenariats avec la Sacem, et pour la première fois avec le CNV. Nous allons d’ailleurs organiser avec eux des présentations au public des différentes professions du monde de la musique, qui se feront sous la forme de débats avec des partons de salle de concert, des éditeurs, des patrons de label, des managers, des présidents de festival et des tourneurs. Il s’agit d’expliquer avec des mots simples la nature réelle de ces métiers.

EL : Comment ont évolué vos relations avec le ministère de la Culture depuis l’arrivée d’Aurélie Filippetti ?

- FM : Cela fait une dizaine d’années que le ministère de la Culture a décidé de ne plus soutenir les festivals de musique. Rock en Seine n’a donc jamais pu en bénéficier, mes relations sur le plan du festival se sont plutôt bornées à une visite du ou de la ministre en fonction. Cela étant, j’ai un point de vue particulier, puisque le domaine national de Saint-Cloud, comme son nom l’indique, est rattaché au Centre des monuments nationaux, lequel dépend de ce ministère. Un peu indirectement, je me trouve donc très concerné par le regard que porte le ou la ministre sur l’organisation d’un événement rock dans ce domaine classé monument national. Et de ce point de vue, les relations depuis un an sont bonnes, on a un niveau de dialogue assez ouvert.

EL : Quid de l’abandon du Centre national de la musique, qui a été décidé très rapidement après la prise de fonctions d’Aurélie Filippetti.

- FM : J’ai été déçu que ça s’arrête parce que j’avais énormément travaillé dessus, et qu’il y avait des propositions de soutien aux festivals qui étaient innovantes. On souhaitait notamment avoir un système plus lisible pour les festivals, avec des critères plus tranchés, des moyens plus importants. Il s’agissait de donner à ce secteur ce qui lui manque vraiment, une certaine robustesse. C’est quand même un très bon moyen d’exposition pour les artistes, pour la dynamique du marché de la musique en général et même pour le rayonnement culturel de la France. Mais dans un contexte budgétaire compliqué, je ne mesure pas vraiment si cette décision était plus politique ou économique.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *