Même si la procédure ne concerne pour l'instant formellement que l'Irlande, la Pomme a très probablement passé l'été à s'armer de solides avocats pour préparer son dossier de défense. Il ressort en effet de la lettre publiée aujourd'hui par la Commission, qui avait été envoyée à l'Irlande le 11 juin dernier, que le dossier à charge pour versement d'aides d'Etat illégales par le biais d'arrangements fiscaux supposément favorables à Apple, est très circonstancié. La lettre de la Commission à l'Irlande ne fait pas moins de 21 pages !
"La Commission requiert de vos autorités qu'elles envoient une copie de la présente lettre au bénéficiaire potentiel de l'aide (NDLR : Apple) immédiatement", ainsi se conclut le courrier envoyé par la Commission à l'Irlande le 11 juin et publié aujourd'hui. Ce courrier marque l'issue, par la décision de la Commission d'entamer une enquête approfondie au sujet d'arrangements fiscaux entre l'Irlande et Apple, d'un échange de courriers dont on apprend qu'il a commencé en juin 2013.
Montants raisonnables
Grâce à ce long échange de courriers, la Commission a d'ores et déjà réuni de nombreuses pièces à charge, dont des transcripts de réunions en 1990 et en 2007 entre le fisc irlandais et Apple montrant, selon elle, le raisonnement derrière les arrangements entre ces deux parties. Des extraits de ces transcripts sont repris dans la lettre publiée aujourd'hui. On y découvre entre autres que lors d'une entrevue de 1990, un conseiller fiscal représentant Apple a discuté avec les autorités irlandaises du "niveau de taxe acceptable" dans le cadre d'un réexamen par Apple de ses opérations au niveau mondial. Niveau de taxe que, toujours selon les transcriptions, Apple considérait acceptable s'il était basé sur des profits situés "entre 20 et 30 millions de dollars", et ce alors même que les profits des opérations irlandaises d'Apple pour 1989 se situaient autour de 270 millions de dollars, pour un chiffre d'affaires de 751 millions. Pour justifier du calcul de la taxe sur une telle base, le transcript fait état du fait que "seules les activités manufacturières relèvent de la branche irlandaise", le reste étant des opérations internationales de vente, la filiale Apple Sales International en charge de ces ventes étant basée en Irlande sans y être résident fiscal. Pourtant dans ce transcript, et cela dérange particulièrement la Commission, la mention suivante figure : "Le représentant des services fiscaux irlandais a demandé au conseiller fiscal s'il y avait une quelconque base au chiffre de 30-40 millions et celui-ci a admis qu'il n'y avait aucune base scientifique pour ce chiffre. Cependant, ce chiffre était d'une magnitude telle qu'il espérait qu'il serait perçu comme une proposition de bonne foi". L'Irlande n'a pas accepté la proposition d'Apple telle quelle, et y a ajouté 8 millions de dollars. Suivant l'arrangement adopté en 1991, Apple avait donc le droit de déclarer des profits en Irlande se situant entre 28 et 38 millions de dollars.
Dans sa lettre à l'Irlande, la Commission considère que cet arrangement pourrait ne pas respecter les principes mis au point par l'OCDE pour les prix de transfert, étant entendu qu'en conséquence de l'arrangement, les autorités fiscales irlandaises autorisaient Apple à faire du "transfer pricing" sur tous les profits au-delà de 38 millions de dollars. Or, les principes de l'OCDE, reconnus par la CJUE, estiment que la pratique des prix de transfert n'est acceptable que si elle correspond à des montants raisonnables par rapport aux pratiques habituelles et par rapport au chiffre d'affaires de l'entreprise. L'une des missions que se donne la Commission dans son enquête est de vérifier si ces principes ont été respectés en l'espèce.
"notre succès en Europe est le résultat d'un dur labeur et non pas d'arrangements fiscaux"
Mais la lettre de la Commission ne donne que peu d'espoir à Apple à ce sujet. Elle y souligne en effet que les arrangements issus de ces réunions de 1991 ont été respectés par les autorités fiscales irlandaises pendant quinze ans, sans aucune modification. En conséquence, l'impôt d'Apple était systématiquement basé sur un profit situé en 28 et 38 millions de dollars et ce alors même que le chiffre d'affaires des opérations irlandaises de la société avait augmenté considérablement pendant ces années...
Apple se défend de la charge menée par la Commission (qui concerne d'ailleurs également, dans un cas similaire, Starbucks). Interrogé par Business Insider, un représentant de la société affirme que "notre succès en Europe et autour du monde est le résultat d'un dur labeur et de l'innovation de nos employés, et non pas d'arrangements fiscaux avec le gouvernement. Au fil des années, Apple n'a reçu aucun traitement sélectif de la part des représentants de l'Irlande". Il lui restera maintenant à aider l'Irlande à le prouver, car si l'aide est jugée illégale, la Commission aura la possibilité d'ordonner le pays à récupérer l'intégralité des sommes indûment non-perçues.
La portée d'une condamnation de l'Irlande en l'occurrence, ou des Pays-Bas dans l'affaire "Starbucks" similaire, serait énorme, en ce qu'elle pourrait lancer le signal d'un re-examen systématique des arrangements fiscaux d'autres multinationales. Un tel réexamen pourrait être suivi d'un remboursement tous azimuts par ces sociétés, dont nombreuses sont celles qui se sont "perfectionnées" en matière d'optimisation fiscale, de montants phénoménaux non perçus... à des Etats européens qui ont bien besoin de cash.
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