La lutte contre le piratage dans l’impasse

hadopi walterDeux syndicats du cinéma demandent que le gouvernement remplace le secrétaire général de la Hadopi.

Le courrier rédigé par le Blic, le Bloc, l'UPF et l'ARP demandant la tête du secrétaire général de l'hadopi, fait le régal des anti-hadopi sur Internet. L'effet est paradoxal pour une industrie du cinéma qui semble ne toujours pas bien saisir son isolement et le faible écho de ses problématiques dans l'opinion.

Cela dit, l'essentiel de cette affaire n'est pas dans les relations houleuses de l'Hadopi avec les ayants droit du cinéma, qui sont aussi complexes et inextricables que n'importe quelle histoire de famille. Non, elles sont dans les conséquences...

Le cinéma, en tant que lobby uni et bien présent aux côtés des gouvernants, avait su agir avec discernement lors de la rédaction du rapport Lescure. Il avait alors obtenu qu'il y soit inscrit que l'Hadopi soit transférée au CSA : une institution dans laquelle le poids et l'influence des chaînes, des producteurs et des diffuseurs est sans doute importante. L'Hadopi dans son ensemble, avec toutes ses missions sur l'offre légale et la réponse graduée avait déjà été jugée suspecte. Le transfert ne devait donc concerner que les équipes de la réponse graduée, ce qui n'a pas eu l'heur de convaincre Olivier Schrameck, le président du CSA. En vieil habitué des parties de poker menteur, celui que l'on dit proche du président de la République, a alors bâti une stratégie "modérée" visant à repousser la Hadopi. Aurélie Filippetti, la ministre de la Culture et de la Communication de l'époque, n'y trouva pas son compte. Elle était alors partagée entre sa volonté farouche de tuer Hadopi et les ordres venus d'en haut de presser jusqu'à imposer les mesures préconisées par le rapport Lescure. Dans pareille situation, la ministre avait bien compris qu'il valait bien mieux prendre son temps puis brouiller les pistes. Ce fut donc sa tactique, et elle lui a réussi.

Après ce premier imbroglio, la tribune publiée dans Libération co-signée par Eric Wallter, le secrétaire général de l'Hadopi a ranimé les pulsions meurtrières du cinéma. Il n'en fallait pas plus en effet pour que les représentants se saisissent de ce prétexte pour cette fois tenter de mettre l'autorité indépendante en échec. Ciblé comme le point faible, Eric Walter doit donc quitter, selon les deux syndicats Blic Bloc, la Hadopi, au prétexte donc qu'il serait un frein à la lutte contre le piratage au sein de l'institution. S'il y a bien un frein à la lutte contre le piratage sur les réseaux P2P, ce n'est certainement pas le secrétaire général, ni les études diligentées sur le partage... Le premier des freins est la baisse des crédits alloués à l'Hadopi depuis deux ans, qui ne lui permettent pas de faire monter en charge la réponse graduée à un niveau capable d'endiguer efficacement les échanges illicites sur le P2P - le niveau actuel et même celui de 2011 est insuffisant. Mais il y a un autre frein : les déclarations tapageuses d'Aurélie Filippetti après la remise du rapport Lescure. La ministre a insisté pour dire que la Hadopi était morte...

Plaisanterie politique

Le plus amusant ne s'est pourtant pas encore produit... En effet, qu'Eric Walter quitte ou non cette institution - qu'il tient à bout de bras avec la présidente Marie-Françoise Marais et Mireille Imbert-Quaretta qui préside la CPD - les crédits sont insuffisants pour faire de la réponse graduée un outil efficace. La lutte contre les échanges illicites restera donc une plaisanterie politique, une farce dont on rit sur les forums. Mieux, si Eric Walter s'en va, la Hadopi perdra aussi un engrenage essentiel qu'il sera difficile de remplacer ; on n'entend pas dire que la Hadopi, prise dans une situation difficile, attirerait des dirigeants zélés et efficaces. Donc, il parait assez évident que la Hadopi est aujourd'hui dans un état comateux, et le remplacement de son secrétaire général n'y changera rien.

Comment sortir de cette situation ? Le cinéma ne s'est certainement pas posé la question, ou alors la réponse raisonnable qui s'imposait fut vite oubliée pour faire place à la rancoeur et la colère. Alors puisque le cinema poursuit un but qui est la lutte contre le piratage, le scénario qui se préfigure est certainement l'un des pires. La Hadopi décapitée, si la ministre Fleur Pellerin suit les instructions à la lettre, il faudra bien dans un délai pas trop long repasser par la case législative pour mettre en place un nouveau système anti piratage - inspiré ou non du rapport Imbert-Quaretta. Or, s'il y a bien une leçon à tirer des deux années passées par Aurélie Filippetti dans le fauteuil de Malraux, c'est l'impossibilité complète pour le gouvernement de se présenter devant les députés pour parler piratage, sans prendre le risque de voir affluer les amendements "licence globale". Nombreux sont ceux qui veulent purement et simplement un démontage en règle du droit d'auteur au profit d'une sanctification du droit des consommateurs. Et la majorité n'est jamais très loin avec ce genre d'arguments démagogiques dans l'Hémicycle... Le cinéma et la musique ont perdu le crédit de leur défense chez les politiques. C'est sans aucun doute un drame pour l'exception culturelle, et la promesse d'un avenir peu ragoutant.

Bien sur, ce scénario catastrophe est tout à fait connu. Le gouvernement n'osera pas s'y aventurer. Il y a bien d'autres dossiers qui requièrent les compétences du législateur. La lutte contre le piratage n'en fait pas partie ; au grand dam donc des pompiers pyromanes du Blic Bloc. Une chose est sûre, la lutte contre le piratage dit de masse, sur les réseaux P2P, est morte bien avant la publication de cette lettre.

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