Pendant que l'Europe se bat contre elle-même pour pouvoir imposer des taux de taxation qui ne soient plus de l'ordre du ridicule sur les profits gagnés sur son propre territoire par certaines sociétés adeptes de l'optimisation fiscale, Barack Obama est passé en mode attaque, en proposant de taxer les milliards engrangés par les sociétés américaines hors des Etats-Unis.
Le moment est historique : l'Oncle Sam pourrait taxer à partir de 2016 les profits amassés par les sociétés américaines offshore même si elles ne les rapatrient pas. Ces mêmes profits sur lesquels nombre de sociétés américaines sont accusées de ne pas payer suffisamment d'impôts en Europe et dans d'autres pays du globe... La proposition déposée par Barack Obama consiste à taxer à 14% les sommes amassées offshore depuis des années par les sociétés ayant leur siège aux USA, et à 19% tout profit gagné offshore par ces sociétés après 2016. Si elle était adoptée, les Etats-Unis sortiraient comme les seuls gagnants, en taxant pour la première fois des revenus au niveau mondial, et ce alors même que la Maison Blanche n'a jamais été la dernière à défendre les programmes d'optimisation fiscale de ses ouailles à l'étranger. A titre d'exemple, en cas d'adoption de la proposition, Apple devrait payer pas moins de 20 milliards de dollars à l'Oncle Sam en 2016.
En dehors des soucis d'extraterritorialité qu'elle engendre au niveau juridique, cette proposition d'Obama devrait être un "wake up call" pour l'Europe, qui n'est toujours pas parvenue à imposer de manière efficace les profits gagnés sur son propre sol après des années de tergiversations. Les poursuites de la Commission contre l'Irlande, le Luxembourg et les Pays-Bas pourraient aider à trouver une solution en imposant à ces pays de récupérer des taxes non payées par des sociétés telles qu'Apple, Starbucks ou encore Amazon. Mais ces poursuites dureront des années avant d'aboutir, alors que l'Oncle Sam agit très vite. De même, la modification de la directive Société Mère/Filiale va dans un sens intéressant, mais prendra des années à transposer en droit national.
L'Oncle Sam est sévère
Aux Etats-Unis, on ne badine pas avec les taxes. Même pendant les années Bush et Clinton puis re-Bush, où la libéralisation a été intense, les Etats-Unis n'ont pas subi l'optimisation fiscale de la manière violente dont le subterfuge a frappé l'Europe. Cela est notamment du au fait qu'il est très difficile de faire sortir des Etats-Unis par des tours de passe-passe des profits qui y ont été gagnés, notamment parce que l'impôt sur les sociétés est fédéral. Faire des sandwichs irlandais-néerlandais, spécialité de nombre de sociétés américaines en Europe, y est en conséquence plus compliqué. Certains, comme Microsoft ou HP, ont bien essayé de faire rémunérer des sociétés basées offshore pour les brevets utilisés aux Etats-Unis, mais mal leur en pris. L'Oncle Sam a désormais ces sociétés - dont la plupart sont actives dans les nouvelles technologies - dans sa ligne de mire, et le résultat risque d'être douloureux. Il y a bien eu les quelques années pendant lesquelles Amazon, qui se présentait alors comme un petit nouveau du web qu'on voulait embêter, a essayé d'échapper de manière systématique à la "sale-tax" levée au niveau des état fédérés. Mais même cela a eu une fin : Amazon et Co ont du passer à la caisse.
Terrain propice
L'administration Obama, que l'on sait déjà attachée à une certaine vision européanisante de la vie du pays grâce au ObamaCare, ne pouvait pas faire laisser une copie moins bonne en matière de taxes que les Bush et autres Clinton. D'ailleurs le terrain est fertile : la pièce mise dans la machine de l'Oncle Sam il y a quatre ans par Warren Buffet - quand il avait déclaré que les impôts payés par les riches étaient trop bas - commence à tomber. Il ne faut pas non plus minimiser l'intervention improbable et très remarquée du Français Thomas Piketty. En démontrant par les chiffres ce que nombre d'entre eux avaient perçu des effets réels du libéralisme à outrance, il est devenu la coqueluche du tout-Washington démocrate. Quant aux spécialistes de Wall Street, il n'ont réagi qu'en machouillant quelques critiques mal préparées quand il est devenu clair que Piketty avait cassé leur jouet avec sa démonstration que l'impôt est le seul moyen pour corriger les effets néfastes du capitalisme. C'est sur ce terrain propice que travaille Obama. Il est possible que les Républicains n'aiment guère son projet de taxation des profits offshore, mais il n'est pas non plus invraisemblable que certains le perçoivent plus positivement qu'on ne pourrait le croire. Les Américains, de tout bord politique, commencent à remarquer que les "petites sociétés de la techno et du web" d'il y a quinze ans, puisque c'est bien elles pour l’essentiel qui font des milliards de profits à l'étranger, sont devenues des géants tentaculaires et ultra-riches, et qu'il serait juste de les taxer. M. Holz-Eakin, du Think Tank conservateur American Action Forum, a d’ailleurs reçu la proposition d’Obama comme une « bonne nouvelle ».
Audace qui laissera des traces
Et même si la mesure n'est pas adoptée, son audace laissera des traces. Elle aura été utile en ce qu'elle aura montré aux Américains que l'imposition des profits globaux des sociétés n'est pas un tabou. La proposition d'Obama ne laissera pas non plus le reste du monde, et encore moins l'Europe, indifférents. L'Europe est dans une situation compliquée face à l'optimisation fiscale. Elle a désigné à la tête de son exécutif Jean-Claude Juncker, ancien premier ministre Luxembourgeois qui a supervisé des accords entre son gouvernement et des sociétés à revenus globaux afin - en échange de leur installation aux Luxembourg - de les faire échapper à l'impôt habituel. Celui-ci a ensuite expliqué qu'il "n'avait pas eu d'autre choix" pour diversifier l'économie de son Grand-Duché que d'accepter ces accords... Notons que le même Jean-Claude Juncker, qui doit désormais montrer patte blanche, a appelé à la lutte contre l'optimisation fiscale au sommet du G20 à Brisbane de novembre, et que sa commission, sous l'égide de Pierre Moscovici, a déjà modifié la Directive Société Mère/Filiale afin d'empêcher qu'elle soit utilisée pour obtenir une non-imposition des profits. Pour l'observateur avisé, tout cela pourra néanmoins paraitre bien tranquille en comparaison de la proposition de Barack Obama...