Par François Pierre LANI, avocat associé et Alice ROBERT avocat au cabinet Derriennic Associés.
Dans le cadre de la stratégie pour un marché unique numérique, les instances de l’Union européenne ont adopté un Règlement européen visant à interdire le blocage géographique injustifié. Publié le 2 mars dernier au JOUE, le texte définitif marque des avancées mais reste peu ambitieux. Le géoblocage désigne les pratiques visant à soumettre le consommateur à des conditions de prix, de vente ou de paiement différentes selon sa nationalité ou son pays de résidence.
Le géoblocage dans l’Union européenne
Dans le marché en ligne de l’Union européenne, les internautes d’un Etat membre se voient effectivement confrontés à des restrictions voire des refus d’accès à des sites internet d’autres Etats membres, d’achat de certains produits/services qui y sont proposés ou encore de méthodes de paiement non locales.
Ainsi, le lieu de connexion, le moyen de paiement choisi ou bien encore l’adresse de facturation sont utilisés par certains commerçants en ligne pour adapter ou plutôt restreindre leurs offres aux clients « étrangers » à leur Etat membre (via, souvent, une redirection automatique vers une version du site internet propre à la nationalité concernée).
Les techniques de localisation de l’internaute et d’adaptation des offres en ligne facilitent les possibilités de discriminations, à l’inverse des commerces physiques qui, de facto, peuvent plus difficilement différencier leurs conditions d’achat selon la nationalité de leurs clients.
Ce faisant, les achats en ligne « croisés » (par un internaute d’un Etat membre sur le site internet d’un autre Etat membre) restaient faibles.
Entre discrimination et entrave au principe cardinal de l’Union européenne de libre circulation des biens et des services, un projet de règlement européen a été discuté pour mettre fin à de telles pratiques et surtout, favoriser les achats sur internet au sein de l’UE et ainsi la croissance.
Les propositions du règlement européen
Le texte adopté prohibe les différences de traitement des consommateurs européens dans les trois hypothèses suivantes :
1/ si les biens vendus par le professionnel sont livrés dans un Etat membre vers lequel la livraison est proposée par le professionnel ou sont récupérés en un lieu défini d’un commun accord avec le client ;
2/ si le professionnel propose des services fournis par voie électronique, comme des services « cloud », des services de stockage de données, l’hébergement de sites et la mise en place de pare-feu ;
3/ si les services fournis par le professionnel, tels que l’hébergement hôtelier, les manifestations sportives, la location de voiture, et la billetterie des festivals de musique ou des parcs de loisirs, sont réceptionnés par le client dans lequel le professionnel exerce ses activités.
Le texte interdit par conséquent les discriminations injustifiées des consommateurs en ce qui concerne les prix, les moyens de paiement utilisés, les conditions de paiement, ainsi que l’accès des consommateurs à leur interface en ligne.
Aussi, il prévoit la nécessité pour le professionnel de fournir une explication claire s’il bloque ou limite l’accès du consommateur à son interface en ligne ou redirige des clients vers une version différente de ladite interface.
Malgré une avancée notable, des limites voire des incertitudes et possibilités de contournement demeurent.
Les failles déjà identifiées
En premier lieu, si le règlement prohibe la discrimination par les prix, la différenciation des prix ne devrait pas être interdite, de sorte que les professionnels seront libres de proposer des conditions générales d’accès différentes, y compris en matière de prix, et de cibler certains groupes de clients situés sur des territoires spécifiques.
A noter également que l’internaute européen devra être averti et actif pour pouvoir bénéficier d’un produit ou service en ligne au meilleur prix : un prestataire de l’UE reste en droit de proposer des conditions tarifaires qui varient selon l’extension de chacun de ses sites internet, à charge pour l’internaute de chercher et comparer les prix proposés pour acheter au meilleur prix.
Ensuite et surtout, certaines activités importantes sont exclues du champ d’application du texte, telles que les services financiers, les services audiovisuels (et donc l’accès à des contenus numériques de type films ou musique), les services de transports, les services de soins de santé et les services sociaux.
Concernant les services audiovisuels, un pas a été fait avec le Règlement relatif à la portabilité transfrontalière des services de contenu en ligne en vigueur depuis le 20 mars 2018 (permettant aux abonnés européens d’avoir accès à leurs contenus en ligne payants lorsqu’ils sont temporairement présents dans un autre Etat membre).
Toutefois, un large panel de ces services reste exclu, faute d’équilibre trouvé avec le respect du droit d’auteur. La Commission européenne doit travailler sur la question dans les deux ans.
Par ailleurs, certaines dérogations permises par le droit de la concurrence de l’UE resteront en vigueur : par exemple, lorsque les professionnels seront liés par un accord avec leur fournisseur qui leur impose de limiter leurs ventes passives. Dans les cas concernés, le nouveau règlement ne s’appliquerait pas.
Enfin, le règlement n’impose pas aux professionnels de proposer la livraison de leurs biens dans tous les Etats membres. Ils conservent, en conséquence, le droit de refuser de livrer dans certains Etats membres. Ce faisant, il leur est loisible de présenter des offres de biens sans services de livraison associés, lesquelles échappent au régime anti-géoblocage (cf. l’hypothèse 1/ susvisée).
Applicable dès le 3 décembre 2018, la maîtrise des contours d’une telle interdiction n’en reste pas moins essentielle sur la pratique des acteurs du commerce électronique et les comportements d’achat en ligne des consommateurs.