Internet, une révolution conservatrice

Le progrès sur Internet est un retour aux formes primitives du capitalisme, et non pas un bain de jouvence pour une économie réinventée.

Il y a comme une note acide. L’Internet est à l’âge des premiers bilans, des premières crises de conscience aussi ; ce que l’on entrevoyait comme une source de renouvellement n’aurait pas été au rendez-vous. Les choses ont changé - qui le nierait ?- mais ce n’est pas dans la direction de la profusion et de l’enchantement. Au contraire, la face de l’internet a déjà les traits marqués de la bourgeoisie replète, du gestionnaire avisé, du bon père de famille. Que dire ? L’internet est une révolution, oui, mais conservatrice !
Comment cela conservatrice ? Certainement pas, Internet, c’est la redéfinition des paradigmes, la toute puissance des internautes, la transparence, les nouvelles règles contre les vieilles lunes de la propriété, la "net" économie, le pays de Kim Dotcom où l’échange est loi, où le pirate est roi... Internet luit comme une aurore de rajeunissement, l’acte de décès des empires obsolescents ! Et bien non, pas du tout, précisément c’est l’inverse qui se réalise.

Franchouillard

Partons de la racine, bref du tuyau. L’explosion d’acteurs du début des années 2000 est éteinte. Il y a bien quelques survivants, au rang desquels Free fait figure d’arbre qui cache la forêt. Tous les autres sont morts, les plus chanceux ont été rachetés. France Télécom, ancien monopole public et SFR, en droite ligne rejeton de Cegetel, la Lyonnaise des Eaux et Neuf (groupe Louis Dreyfus), dominent le marché avec Bouygues Télécom en troisième larron jamais content. Des barons du capitalisme, un ancien acteur étatique, bordés par un jeune pas si jeune, qui s’était fait les dents dans la télématique : voici la base du Net français. On fait mieux dans le genre disruptif et innovant... Pire, le modèle économique est des plus ancestral : un abonnement qui donne droit à tous les étages de divertissement, payé chaque mois. Tous les opérateurs ont le même à quelques euros près.
Et cette situation ne tient pas à un particularisme franchouillard, de ceux que les agents du libéralisme anglo-saxon aiment tant à dénoncer. Non, la France n’a rien d’un cas à part. C’est exactement la même chose ailleurs : BT en Angleterre, Deutsche Télécom en Allemagne, AT&T aux Etats-Unis, sans parler des China Télécom et autres. Bref, les piliers de l’économie de la télécommunication, ces as du "22 à Asnières", ont pris en main les destinées du Web partout dans le monde. Ils ont su imposer une maîtrise des tarifs et se battent pour que rien ne change. Les rêves de FAI communautaires, associatifs, individuels, n’ont pas trouvé leur place. La diversité n’a pas droit au chapitre, elle doit se contenter de murmurer qu’elle existe et servir les intérêts des plus gros.

Pères fondateurs

Très bien, admettons que l’Internet eut besoin d’investissements lourds, et surement alors, il convient de reconnaitre que seules les entreprises déjà implantées avaient les reins suffisamment solides. Il apparait logique, à la lumière de ce fait, que France Télécom, BT ou d’autres aient réussi. Cela serait exagéré d’en tirer une conclusion, l’Internet c’est bien plus qu’un câble ou une prise cuivrée.
Prenons l’exemple du e-commerce : qui pourrait remettre en cause la réussite d’Amazon ? Il s’agit bien d’un acteur nouveau qui est né dans le bouillon originel du réseau, fils et incarnation de la vision des pères fondateurs ! Il est exact qu’Amazon peut être désigné sans erreur comme un rejeton web-native. Tout comme Google, et Facebook, sont aussi des exemples d’une réussite du pouvoir renversant du Net. C’est exact.
Il y a pourtant un os. A bien y regarder, ces sociétés qui pèsent des centaines de milliards de dollars n’ont réussi, ou bien sont en passe de le faire, que parce qu’elles ont assis leur croissance sur des piliers traditionnels du business. Google est une major de la régie publicitaire, Facebook tend à en être une, et Amazon n’est qu’un supermarché. Ces trois entreprises sont nées avec le réseau, mais elles ont patiemment mis en place leurs règles du jeu en allant puiser dans les vieilles recettes. Il est d’ailleurs surprenant de voir que Facebook est en retard dans cette affaire. Les marchés attendant qu’elle fasse ses preuves comme nouveau pilier du capitalisme sur le Net, et abandonne ses lubies d’étudiants en période post-universitaire.

Capitalisme 1.0

Mais il y a mieux, le cas Apple est encore plus frappant. La société créée par Steve Jobs et Steve Wozniak, adoubée par Al Gore le candidat malheureux du parti démocrate, qui fut le porte étendard de la révolution culturelle dans les années 80’, a redonné au capitalisme un avenir ! Apple Inc, avec iTunes et iOS, est devenu la forme triomphante sur le réseau du capitalisme le plus primitif. Avec une force telle que cette société est aujourd’hui la première capitalisation boursière du monde. Les marchés longtemps sceptiques ont compris finalement tout le bien qu’Apple fait au conservatisme économique. Apple a en effet réintroduit au coeur du réseau, entre l’internaute et un bien virtuel, le paiement. Le plus simple qui soit d’ailleurs, sans crédit, ni spéculation, ou encore crowdsourcing d’aucune sorte. Il n’y a pas plus 1.0 que ce capitalisme là...
A côté de ces réussites, le Web est un cimetière d’idées plus excentriques les unes que les autres. La re-fondation de l’économie, la naissance de nouveau business model a échoué. Il n’y a qu’à voir ce qu’il se passe dans la presse où Mediapart réussi en se vendant comme un vulgaire Canard Enchainé électronique, pendant que Le Figaro et le Monde écrasent la concurrence en multipliant les articles sur tous les sujets, le plus vite possible, un peu à la manière de France Soir qui battait le pavé avec ses cinq éditions par jour à la grande époque. Et ces deux titres ont finalement conservé dans cette mutation vers l’électronique comme source de revenu la vente (sur iOS surtout), l’abonnement et surtout la publicité - qui représentait déjà 70% des revenus avant l’émergence du Web. La multiplication des Paywall et l’abandon petit à petit de formules plus audacieuses, dans les médias en ligne, de celles qui proposaient une expérience inattendue du journalisme, est encore un signe de ce conservatisme galopant.

Web 3.0

Les exemples sont innombrables. Ils montrent combien le Net assume maintenant une vision organisée et mercantile de son évolution. Le Web 3.0, ce que précédemment nous avions baptisé de "DigitalMe", est donc aussi une affirmation du réseau des réseaux comme zone d’échange économique. Et non plus, comme le champ univoque d’une expérimentation collective s’affranchissant de certaines dimensions, pour mieux se concentrer. Une fois dit cela, on peut cependant imaginer un retour des concepts "Web native" dans cette nouvelle mécanique économique. Cela ouvrira une nouvelle époque d’expérimentation, non plus basée sur la découverte des possibilités du réseau en tant que tel, mais bien de son potentiel à générer de l’argent, donc une véritable Net économie.

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