Le CNC organisait mercredi des « Assises pour la diversité du cinéma », l’occasion pour les différents acteurs du secteur de confronter leurs points de vue et pour la ministre de briller une fois de plus par son attentisme. (Publié le 24 janvier)
Mercredi, tout le gratin du cinéma hexagonal était réuni dans le théâtre éphémère de la Comédie Française au milieu du décor du « Malade Imaginaire », « un symbole intéressant » comme le note d'emblée Eric Garandeau, président du Centre national du cinéma (CNC). Les « Assises pour la diversité dans le cinéma » devaient fournir «un cadre apaisé et constructif pour engager une concertation », mais « pas le procès de quiconque ». Finalement, la réunion aura permis à chacun ou presque d’exprimer son point de vue, mais les propositions pour remédier aux problèmes soulevés devront attendre, peut-être même jusqu’à juin, date fixée par la ministre Aurélie Filippetti pour de prochaines Assises... Le temps certainement que la baudruche gonflée à bloc suite à la tribune publiée par Vincent Maraval, co fondateur de Wild Bunch, dans Le Monde se fasse oublier.
Tout est parti donc de la tribune de Vincent Maraval (Wild Bunch) publiée fin décembre dans Le Monde. Au-delà du titre, un peu provocateur, « les acteurs français sont trop payés », il entendait dénoncer les « vices » du système de financement du cinéma à la française. S’en est suivi une ribambelle de réactions plus ou moins vives, plus ou moins outrées mais défendant, toujours, un système globalement vertueux de régulation et de redistribution qui permet, en gros, aux films à succès - en grande partie étrangers - de financer les plus petites productions - en très grande partie françaises. Mercredi, et en dépit de la présence de Maraval qui a confié avoir hésité à embrasser la politique de la chaise vide pour l'occasion, le mot d’ordre est à la solidarité pour soutenir le système de financement du cinéma français, fondé en 1946 et maintes fois ajusté depuis mais reconnu voire envié par de nombreux pays européens.
Argent trop cher
Evidemment, et même si le cinéma est un art, l’argent est une question centrale. Sans argent, pas de films. En 2012, le CNC a calculé que 1319,2 millions d’euros ont été investis dans la production cinématographique soit 5% de moins qu’en 2011. Il répond aussi aux accusations de Vincent Maraval avec deux chiffres : le devis moyen d’un film enregistre une baisse de 8,1% pour s'établir à 5 millions d’euros, et le devis médian dégringole de 14% pour se fixer à 3,2 millions. Pourtant Florence Gastaud de l’ARP répète que l’inflation du prix des films est une réalité. Quid des dépenses d’interprétation ? Elles sont à peu près stables et représentent 12% de la facture, dont 7,7% pour les premiers rôles. Mais il ne s’agit là que du salaire, sans prise en compte d’autres formes de rétribution qui peuvent être négociées par ailleurs.
Le vrai problème serait celui de la transparence sur les revenus des différents acteurs dans la chaîne de la création puis de la vente des films. Qui des scénaristes, techniciens, réalisateurs, acteurs, producteurs, financeurs, distributeurs, exportateurs ou exploitants de salles prend le plus gros risque financier ? Qui mérite la plus grosse part des bénéfices - si bénéfices il y a ? Le producteur Marc Missonier évoque la baisse de salaire des acteurs, moyennant un intéressement aux recettes, mais est aussitôt contré par l’agente Elisabeth Tanner qui parle « recettes cross collatéralisées », de producteurs qui « se rémunèrent à très haut niveau » et « ont intérêt à un sur-financement ». Pour Bénédicte Couvreur, de chez Hold Up Films, il faut « penser la fabrication du film en fonction du financement ». Et pas l’inverse.
Critiquant la convention collective qui est actuellement en discussion, Marc Missonier estime qu’elle pourrait amener 15 000 pertes d’emplois et demande une plus grande souplesse, mais un représentant de la CGT dans la salle l’alpague, brandissant l’intermittence, un des statuts les plus flexibles existant déjà et demandant une valorisation des métiers et compétences des techniciens. De son côté ; le producteur Alain Attal estime que c’est son corps de métier qui prend le plus gros risque en cas de sortie du plan de financement, et cela même si 10 des 25% investis sont épongés par le crédit d’impôt. Mais Stéphane Célérier, de chez Mars distribution revendique aussi la position la plus périlleuse, tout comme le fait Michel Hazanavicius « vous mutualisez, nous, nous faisons un film tous les 2, 3, 4 ou 5 ans ! ». La question de la rentabilité sera aussi soulevée par Didier Duverger de Coficiné et moquée « la rentabilité oui, mais pour qui ? ».
Concentration VS diversité
Avant de se poser la question de la répartition des recettes, encore faut-il avoir trouvé un montage financier pour que le film voie le jour. Et c’est ici que la problématique de la concentration intervient, puisqu’elle menace notamment la diversité qui était au centre de ces Assises. En 2012, le CNC a enregistré 208 films d’initiative française, 129 coproductions avec l’étranger dont 70 minoritaires. Parmi le très grand éventail des financeurs potentiels (du CNC aux collectivités locales en passant bien sûr par les producteurs, Sofica etc), ce sont les chaînes de télévision privées et gratuites qui sont le plus montrées du doigt sur la concentration des financements.
Nathalie Toulza Madar de chez TF1 Films s’en défend : 43 millions d’euros auraient été investis dans 20 films, un budget et une moyenne de devis stable depuis des années selon elle, même s’il est vrai que la ligne éditoriale est tournée vers les « divertissements populaires pour la famille afin de réunir le plus de gens devant l’écran le dimanche soir en prime » (« La Rafle » avait séduit plus de 7 millions de téléspectateurs »). Chez M6, Philippe Bony reconnaît que « l’ensemble des grandes chaînes a divisé par deux le nombre de films diffusés en prime time », que ceux-ci sont « de moins en moins performants à cause de la télévision payante » ce qui les « oblige à cibler des films à fort potentiel commercial, et il n’y en à qu’une vingtaine par an ». Il y aurait donc bien une concentration, mais elle ne nuirait pas nécessairement à la diversité, financée par les 5,5% reversés au Cosip " ce sont 50 ou 60 millions qui sont redistribués à des films qui ne seront jamais diffusés sur des grandes chaînes ». Pour Florence Gastaud, une réforme des obligations des chaînes est indispensable.
Evidemment, France 3, Canal + et Orange arrivent en position privilégiée pour défendre la diversité et notamment les « films du milieu » (entre 4 et 7 millions d’euros de devis pour les uns, en dessous des blockbusters pour d’autres, c'est-à-dire sous la barre des 9 millions) face aux mastodontes de la une et la six . Daniel Goudineau de France 3 peut ainsi s’enorgueillir d’avoir participé au financement de 61 films en 2012, même s’il n’a « pas de religiosité vis-à-vis des films du milieu ». Pour Canal, Manuel Alduy estime que 60% des films financés ont un devis en dessous de 7 millions d’euros, mais il vante aussi l’exposition donnée aux films sur les chaînes du groupe, qui en diffusent 550 par an (contre 400 il y a 10 ans). Esprit confraternel oblige, il souligne que l’ensemble des chaînes de télévision payante participe au financement d’environ 140 films sur les quelque 200 créés en France chaque année.
« Internet, c’est de la télévision »
S’il est un point qui aura rassemblé tout le monde, c’est bien la nécessité d’adapter le système actuel aux bouleversements liés au passage au numérique, qu’il s’agisse de l’arrivée de nouveaux acteurs ou de la chronologie des médias. Pour Denis Freys, producteur, « s’il n’y a plus de chronologie des médias, tout s’effondre, on arrête de faire des films ! », un point de vue que ne partage pas entièrement Florence Gastaud qui, sans vouloir la supprimer, pense qu’il faut la remodeler afin de palier la concentration de l’exposition des films. Elle pointe par ailleurs les lacunes dans l’offre légale cinématographique.
Concernant les nouveaux acteurs, Michel Hazanavicius se montre assez véhément « Il y a une énorme arnaque sémantique autour du numérique […] Internet c’est de la télévision […] Essayer de le présenter autrement, c’est comme si quelqu’un vendait de la coke en disant que c’est de la charcuterie, ça reste de la coke ! ». Vis-à-vis des autorités européennes qui tiennent entre leurs mains une partie du futur du système de financement du cinéma français, à travers la TSTD notamment, il n’a pas de mots assez durs « c’est un gouvernement très libéral qui favorise les télécommunications sur la culture, d’ailleurs il paraît que nous faisons des ‘contenus’, moi je n’ai jamais eu l’impression de faire des ‘contenus’, je fais des films ! Et ils favorisent les tuyaux sur les ‘contenus’ ! ».
Acte de pédagogie
Quand vient le tour d’Aurélie Filippetti, elle félicite les acteurs présents de leur « lucidité sur les mutations technologiques et les enjeux mondiaux » et évoque la « responsabilité des différents protagonistes », avec notamment la « contribution que l’on doit demander aux acteurs internationaux ». Au niveau européen, elle affirme travailler sur la définition d’une assiette moderne pour la TSTD (taxe sur les distributeurs, rejetée par Bruxelles pour l'instant et dont le produit est indispensable au CNC), pour la traduire dans la loi dès que possible, soit par le biais d’une loi de finance rectificative, soit dans une loi audiovisuelle. Elle annonce aussi qu’un document de communication visant à expliciter le système sera commandé afin de faire acte de pédagogie et de mieux en expliquer les mécanismes au grand public comme à tous les acteurs du secteur.
Pour tout le reste, la ministre de la Culture se montre plutôt attentiste, renvoyant à la mission Colin et Collin pour la modernisation de la fiscalité numérique et aux conclusions de la mission Lescure en mars prochain pour les problématiques de financement et de répartition. Le CNC sera quant à lui chargé d’une étude « avec une méthodologie concertée » sur la rentabilité des œuvres, et elle invite les professionnels a mettre en place une « autorégulation » basée sur les « responsabilités » individuelles. Et de conclure sur une métaphore qui la fait sourire « le village gaulois ne doit pas museler le barde, et il ne doit pas craindre les Romains ni les pirates, […] Il est fort de la palabre et du concile[…] ».