2012 est une année symbolique pour l'industrie de la musique. C'est aussi à partir de 2012 qu'il est possible de déterminer les grandes tendances du marché "digital". (Publié le 8 avril)
La bible du marché de la musique est arrivée. L'IFPI a publié son rapport "Recording Industry in numbers" dans lequel sont détaillés les revenus de l'industrie. Cette année 2012 est marquante à plus d'un titre. Pour la première fois depuis 1999, le marché est en progression, infime de 0,2%, mais le tournant est là. La photographie du marché par type de service pays par pays permet de tirer quelques enseignements forts intéresants sur le secteur. Enfin, la lutte contre le piratage ne fait plus la Une du rapport, car maintenant la croissance est de retour.
Le marché de la musique a représenté un chiffre d'affaires de 16,481 milliards de dollars en 2012, contre 16,456 milliards l'année précédente. Pas encore de quoi déboucher le champagne, et 2013 pourrait à nouveau afficher une décrue, mais l'espoir renait. La croissance est évidemment tirée par le "digital", sous toutes ses formes, cependant il n'est pas le seul, les droits sur la synchronisation (publicité, télévision, etc.) sont aussi en augmentation tout comme les revenus issus des concerts. 35% des revenus de la musique viennent du monde "digital".
La France cinquième
Le hit parade par pays est pratiquement inchangé, à l'exception de la remontée du Royaume-Uni à la troisième place devant l'Allemagne, à la faveur d'une moins bonne conversion euro-dollar. Les Etats-Unis sont donc premiers avec un marché total de 4,481 milliards de dollars, dont 58% générés par le "digital". Le Japon est juste derrière avec 4,42 milliards. Le marché nippon est toujours largement dominé par les ventes physiques qui représentent 80% contre seulement 17% pour le "digital". Après les deux champions c'est le décrochage, puisque le troisième marché émarge à 1,325 milliard de dollars quand son suivant, l'Allemagne est à 1,297 milliard. La France conserve sa cinquième place avec 907 millions de dollars.
Voilà pour les mastodontes du secteur. Il faut également remarquer le faible poids des pays du nord. La Suède est 12 ème avec un marché global de 176 millions de dollars, tout comme la Norvège qui est 18 ème pour 118,3 millions de dollars... Cela pose la nécessairement la question des types de revenus. Comme on le sait depuis 3-4 ans, ces pays nordiques voient leur marché ultra dominé par les offres de streaming par abonnement, tels que Spotify (voir "Streaming par abonnement, Le complexe de l’indigène"). Une étude minutieuse de la part de marché et de l'évolution de ces services par pays, en se basant sur les chiffres produits par l'IFPI corrobore cette analyse. Tout du moins pour l'année 2012, et il est fort probable que la vérité de 2013 puisse être différente...
71% pour le téléchargement
Le marché "digital" de la musique se décompose entre le téléchargement et le streaming. La sonnerie téléphonique est promise à une rapide disparition des radars de l'industrie. En 2012, le téléchargement reste le leader incontesté et le mode de consommation de la musique le plus également répandu et prospère sur les marchés développés. Dans le détail, le téléchargement représente 71% (ce pourcentage était de 74% en 2011), tandis que le streaming (tout compris : abonnement via des plateformes Spotify, comme le gratuit avec YouTube, par exemple) atteint 21%, en grignotant surtout le mobile, qui passe de 26% en 2008 à 8% l'année dernière.
Le nombre de téléchargements est en constante progression. Celle-ci ne décélère pas malgré l'arrivée des offres de streaming, ce qui tend à démontrer que pour l'instant, il n'y a pas concurrence entre les deux. Cette constance dans la progression prouve aussi le téléchargement a fidélisé sa clientèle, et que l'adjonction de nouveaux marchés se fait aussi au bénéfice du marché global.
Constance
Il est aussi intéressant de remarquer que la croissance des marchés les plus importants de la musique est portée par le téléchargement qui y est en position de force. Cependant, comme on le verra plus tard, le streaming progresse aussi sur ces mêmes marchés, mais sans qu'on puisse vraiment affirmer que cela soit pérenne. Le streaming montre trop de disparités entre les différents pays où il est actif. Pour revenir au téléchargement, la croissance régulière permet facilement d'estimer quand la moitié du marché mondial de la musique sera converti au "digital". L'accès de plus en plus nombreux des individus au téléphone mobile, et via ses plateformes de ventes, à la musique "digitale" légale, est également un facteur important de la mutation du marché. L'Asie s'ouvre à peine à ce marché, et sa croissance pourrait être décisive - hors Japon - pour l'industrie de la musique enregistrée. Sans compter le possible décollage des offres de Google ou d'Amazon...
Pour bien comprendre la densité de ce marché encore en mutation et certainement loin de sa maturité de monde numérique, nous nous sommes appliqués à étudier les pays les plus représentatifs.
USA vs Finlande
Les Etats-Unis tout d'abord. C'est le royaume d'Apple et de sa boutique en ligne iTunes. Sans surprise le champion national pèse sur plus de 70% du marché numérique ! Le téléchargement représente 80% du "Digital". Le streaming par abonnement culmine à 8%. Spotify est arrivé au début d'année 2012, mais il n'y a pas d'explosion notable de ce mode de diffusion de la musique. En 2008, l'abonnement représentait déjà 7% du marché global...
L'exemple inverse : la Finlande. En 2010 Spotify débarque dans le grand nord de la suède voisine et c'est le "boom" ! L'abonnement passe de 9 à 66% du marché ! Depuis ce pourcentage stagne à 70%, mais le téléchargement est tombé en dessous de 30% et ne progresse pas plus. Le marché est atone, et pourtant Spotify a fait une percée spectaculaire. En 2009, c'était 5,6 millions de dollars qui provenaient du Digital et 10,6 millions en 2010. Le gain est donc d'environ 5 millions de dollars. Des volumes qui doivent être rapportés à la population du pays, bien entendu, mais qui interdisent toute possibilité de projection sur des marchés plus développés comme les Etats-Unis ou la France.
D'ailleurs pour ce qui est de la France, nous avons déjà expliqué quelle était la réalité du marché du streaming. L'influence de l'accord entre Orange et Deezer est déterminante, et il fausse les projections. Tout au plus, est-il possible d'avoir une idée relativement précise de l'abonnement le temps du contrat, mais à son échéance, tout pourrait être remis en cause. En réalité, le marché de l'abonnement ne dépasse par 300 000 comptes payants, hors du bundle Orange.
Les autres poids lourds européens de la musique sont aussi sous la domination du téléchargement, et le streaming minoritaire montre des variations surprenantes... Ainsi en Allemagne, il n'existe presque pas... Le marché digital est encore faible (19%), mais le téléchargement est ultra leader avec 88% des usages ! Le streaming par abonnement varie entre 5 et 8% sans montrer de nette accélération sur 5 ans.
La force de l'habitude
Même constat pour le Royaume-Uni où l'impact du téléchargement sur le marché digital ne se dément pas. Le streaming a dernièrement largement augmenté sa part de marché, mais cela s'est fait aussi par des accords avec des opérateurs de téléphonie et aussi des constructeurs de téléphones mobiles. L'usage réel de ces services vendus avec "autre chose" reste sujet à caution, tout comme en France. En revanche, ces revenus existent bien pour l'industrie, et dans une vision court-termiste c'est ce que retiendront les majors.
Qu'en déduire ? On peut avancer que les habitudes prises sont en fait celles qui vont déterminer les composantes du marché. Là où le téléchargement a été un marqueur important du marché, alors il perdure et l'arrivée du streaming par abonnement ne change pas fondamentalement la donne. L'exemple des pays nordiques illustre parfaitement cela. Jamais le téléchargement n'a été une pratique de masse en Suède (en 2008 c'était un chiffre d'affaires minime de quelques millions d'euros), en Finlande ou en Norvège. Alors que c'est l'inverse aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en France ou en Allemagne. Et il y a fort à parier que le Japon suivra cette route...
4 thoughts on “Bilan 2012 de la musique : le streaming, ce mal connu…”