Mission Phéline : au delà du partage de la valeur (4)

Lancée par la ministre de la Culture Aurélie Filippetti pour établir un nouvel état du partage de la valeur dans la musique en ligne, après le précédent rapport publié en 2011 par l'Hadopi, la mission Phéline, qui mène déjà ses auditions tout azimut, doit se pencher plus avant sur la rémunération des artistes, et se prononcer sur la pertinence d'instaurer un régime de gestion collective des droits voisins des producteurs sur Internet. Au delà d'un partage de la valeur équitable, la gestion collective, qui rencontre une opposition farouche des producteurs, peut néanmoins, sous certaines formes, favoriser à la fois la régulation et le développement du marché.

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Partie 4 - Un outil de régulation et de développement du marché

A trop se concentrer sur le partage de la valeur, le risque est grand de passer à côté de ce que peut apporter la gestion collective en terme de régulation du marché de la musique en ligne et d'impulsion d'une politique de développement de ce dernier qui bénéficie à tous ses acteurs, des plus petits aux plus gros. En facilitant l'accès aux catalogues aux porteurs de projets et aux développeurs d'applications, la gestion collective favoriserait le développement d'une multitude d'offres beaucoup plus segmentées, sur les mobiles et sur Internet, à même d'adresser de nombreux marchés de niche, et de redonner une plus grande visibilité aux catalogues et aux esthétiques musicales les plus confidentiels. Son caractère obligatoire aurait certes des inconvénients, le premier d'entre eux étant de priver les producteurs de l'exercice de leur droit d'autoriser et de leur capacité à négocier de gré à gré avec les éditeurs de services. Mais elle peut aussi revêtir des formes volontaires dignes d'intérêt.

Les options d'une gestion collective... volontaire

En témoigne, par exemple, le projet de plateforme publique dont était porteur au Royaume Uni le spécialiste de la propriété intellectuelle et des technologies de DRM Nic Garnett, qui fut président de l'IFPI (Fédération internationale de l’industrie phonographique) de 1992 à 1999. Baptisé Digital Content Incubator Scheme (DCIS), ce dispositif, qui devait être piloté par un nouvel organisme public créé de toutes pièces dans le cadre du programme Digital Britain de stimulation de l’innovation dans la société de l’information, visait à permettre l’expérimentation de nouveaux services et de nouveaux modèles économiques, en facilitant l’obtention de licences par les porteurs de projets, via un guichet unique et dans des conditions préférentielles. « Les labels pourront décider de leur participation et de l’étendue des licences qu’ils accorderont dans ce cadre. Les majors sont d’accord sur le principe. Elles aiment l’idée, même si elles ne le disent pas encore publiquement », confiait à l'époque Nic Garnett au magazine professionnel français Musique Info« Mais il reste encore de nombreux détails à régler, ajoutait-il, comme fixer la durée de la période d’expérimentation que couvriront ces licences, par exemple. »

Cette idée, qui prévoyait de mettre en œuvre un mécanisme de gestion collective volontaire, ne s'est jamais concrétisée outre-Manche. Mais elle n'a pas perdu de son intérêt, et illustre l'éventail des possibilités offert par le principe de la gestion collective, fut-ce sur une base volontaire. Le dispositif imaginé par Nic Garnett permettrait en effet de lancer, à bien plus grande échelle et dans un cadre beaucoup plus ouvert, des initiatives comme l'expérimentation Open EMI menée par la maison de disques EMI en 2012, en partenariat avec le système de recommandation américain The Echo Nest. D'une part, le programme mis en oeuvre permettait aux développeurs de s’appuyer sur la vaste base de données de The Echo Nest – qui établit de nombreux liens de similarité entre artistes et titres de musique, notamment – et sur ses outils de génération automatique de playlists, d’analyse audio, de « fingerprinting » ou de remix. D’autre part, il leur ouvrait l’accès, dans le cadre de leurs développements, à tout le catalogue du label de jazz Blue Note d’EMI.

Mettre la "multitude" des développeurs à contribution

"Les retours que nous avons eus sont absolument passionnants, et beaucoup de concepts captivants nous ont été soumis", témoignait l'an dernier Bertrand Bodson, alors senior vice-président d’EMI en charge du marketing digital, qui pilotait l'opération. Elle a notamment permis d'aboutir, en très peu de temps, à la réalisation d'une application Blue Note mise à disposition des utilisateurs de la plateforme de streaming Spotify, pour mettre en valeur le catalogue du label et lui donner une plus grande visibilité. "Comparé à nos capacités de développement en interne, les développeurs sont beaucoup plus rapides, et ils sont très bons dans les tests et le paramétrage des applis", confiait Bernard Bodson, qui s'enthousiasmait à l'idée que puisse émerger, de cette manière, de nouveaux formats musicaux interactifs.

Des initiatives comme le DCIS de Nic Garnett ou l'opération Open EMI - qui devrait bientôt impliquer toutes les majors sous le nom de Open Music UK - laissent non seulement entrevoir la possibilité d'ouvrir l'accès aux catalogues à une multitude de développeurs sur Internet, dans un cadre expérimental régulé par une forme de gestion collective volontaire, mais aussi de permettre aux acteurs du marché de la musique enregistrée, au premier rang desquels les labels indépendants, d'accéder à des ressources dont ils ne disposent pas en interne en matière d'innovation et de développement. Dès lors, et à défaut de voir les principaux opérateurs privés du marché ouvrir leurs plateformes à des éditeurs de services tiers, selon un mode de partage des revenus à déterminer, l'idée de lancer une plateforme publique de streaming, par exemple, pour permettre aux plus petits labels d'exploiter commercialement de nouveaux formats musicaux interactifs ou des offres de service à même de redonner une visibilité à leurs catalogues, prendrait tout son sens.

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